Je n’ai jamais (très rarement) entendu parler de la beauté en tant que privilège dans la société, et pourtant aujourd’hui plus que jamais, mais sans doute depuis très longtemps, être beau ou belle est sans doute une des *choses* qui ouvrent le plus de portes. On ne parle que de privilèges ces dernières années, et c’est un prisme intéressant qui ne cesse de s’enrichir de nouveaux combats, de nouvelles discriminations qui sont mises en exergue pour être mieux identifiées et combattues.
Et on parle des privilèges… Ceux des hommes, des cisgenres, des blancs, des séniors, des minces, des bien-portants, des valides etc. Mais jamais je n’ai entendu parler de la discrimination contre les moches, et du privilège des beaux. Est-ce que ça n’existerait donc pas ? Hu hu hu.
Mais bien évidemment que oui. Il y a même une page wikipédia à ce sujet, c’est dire si ça existe.
Extrait de la page wikipédia : Privilège de la beauté
- Selon une étude, les personnes considérées comme attirantes sont payées 10 à 15 % plus que celles d’une beauté moyenne. Cette différence de salaire est notée aussi chez les PDG.
- Il est possible que les personnes considérées comme laides soient moins heureuses que les personnes qui ne le sont pas. Elles souffriraient également plus de dépression.
- Les peines de prison des personnes considérées comme laides sont en moyenne 20 % plus lourdes que chez le reste de la population. Des différences ont été notées en fonction de la nature de la faute : les cambriolages ont conduit à une peine 24% plus lourde tandis que pour les crimes graves (meurtre et viol) l’écart se resserre, mais reste de 10%.
- Les bébés considérés comme laids pourraient recevoir moins d’amour et d’affection, notamment par leur mère.
- Les personnes considérées comme attirantes sont perçues comme plus intelligentes.
- Les personnes considérées comme attrayantes sont perçues comme plus dignes de confiance.
Et vraiment, je pense que ces quelques éléments parlent absolument à tout le monde. Mais voit-on des associations de défense des moches ? Non. Des militants de la mochitude qui tapent un 10 au laideronomètre ? Non plus. D’ailleurs toutes les associations qui luttent contre les discriminations insistent pour trouver « beau » les gens, et c’est un des arguments de poids. Black is beautiful, big is beautiful, bear is beautiful etc.
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.
Après je sais que c’est une notion relative et tout et tout. Et je ne vais pas non plus dire que les gens moches ne peuvent pas trouver le bonheur, la preuve… Hu hu hu. Mais j’ai toujours été fasciné par ce truc, et j’ai moi-même beaucoup trop cédé aux gens beaux. Enfin surtout quand je les trouvais un peu cons, sinon c’est vraiment insupportable.
Mais c’est vrai que c’est une notion qui trouble beaucoup de gens. J’avais déjà évoqué cela avec M. notamment, il y a donc 20 années de cela. Ce dernier m’ayant toujours dit « Nan mais moi j’aime pas les mecs beaux ». Et c’est vrai qu’il a vraiment été en couple avec toutes sortes de mecs, moi y compris. Et je ne suis pas du tout dans sa « league ». Je le ressentais parfaitement bien, avec des regards lourds de sens dans la rue ou les soirées, et parfois quelques remarques narquoises ou carrément désagréables1. Et ce n’était pas toujours facile, mais j’avais, étrangement, assez confiance en moi pour le vivre pas trop mal. Et il me faisait assez sentir son amour et son désir aussi pour cela. (Et heureusement, je me trouvais beaucoup plus intelligent et cultivé que lui. )
Même ma maman, qui pourtant a le devoir de me trouver la septième merveille du monde, m’avait dit qu’il était vraiment très très beau, du genre « par rapport à toi ».
Je ne trouve pas que c’était spécialement une qualité de sa part de ne pas avoir un critère de beauté très « exigeant », et pas non plus un défaut de la mienne d’avoir succombé également à son joli minois. Les relations amoureuses sont une alchimie complexe, et tout devrait être possible. Mais il n’en reste pas moins, que j’ai pu constater les nombreux privilèges qu’il gagnait avec cela au quotidien.
Depuis hier, les Internets frémissent et bruissent de ce fameux Luigi M. qui a assassiné le directeur d’une mutuelle privée étasunienne. Son physique avantageux et sa belle gueule lui valent d’être largement considéré comme un héros de la lutte des classes, alors que s’il avait été moche je suis certain que la situation serait regardée de manière diamétralement opposée.
Et une fois n’est pas coutume, un peu d’autofellation, puisque j’avais déjà effloré ce sujet il y a quelques temps dans un article où je faisais le lien avec le passing et la transidentité.
Il y a en revanche une chose qui a tout changé, et qui est à la fois géniale et qui m’agace au plus haut point : le passing. Evidemment que c’est majeur et important d’être reconnu, pour des personnes binaires, dans son genre. Et les innovations extraordinaire en médecine, tant pour les hommes que pour les femmes, ont grandement amélioré la vie des personnes trans et leur intégration à la société, puisque « ça ne se voit plus ». Et dès lors qu’on ouvre cette boîte (de Pandore), on se frotte forcément à ce putain de privilège de la Beauté (qui m’insupporte). Et alors, on en vient à faire des différences et des jugements de valeurs dégueulasses. Il y a alors les bons trans et les mauvais etc. De la même manière que l’acceptation grandissante des gays dans la société est valable et validée pour ceux qui sont beaux, musclés et doués en décoration.
Extrait de l’article Adelphité Trans de mon propre blog.
Mais d’un autre côté, ces ambassadeurs et ambassadrices ont un pouvoir extraordinaire et font bouger les lignes. Donc ça m’interpelle et me trouble… Et j’en suis moi-même une énorme victime influençable, alors que je m’émerveille de transitions qui aboutissent à des personnes belles en dedans comme en dehors (j’avoue que le passing a cet effet).
J’avais bien aimé en cela les deux séries TV avec un thème trans très poussé qu’étaient « Pose » et « Transparent ». Et étonnamment, là où la première se passe dans les années 80 et 90 à l’époque NYC, VIH et Ballroom, on avait des comédiennes trans qui étaient « trop » belles par rapport à une représentation historique qui se voudrait fidèle. Mais après tout, quel intérêt ? Et leurs physiques sublimes ont parfaitement servi l’intrigue… Pour la seconde, avec « Transparent », c’est le contraire puisque la série est contemporaine mais montre justement des trans « qui se voient » avec un côté plus naturaliste certes (surtout avec des trans plutôt âgées), mais qui fait justement l’impasse sur les personnes au passing plus abouti. Et encore une fois, ce qui est plutôt cool au final, c’est l’ensemble de ces représentations, et la diversité qui est présentée. Ce qui est cool aussi c’est enfin d’avoir ces représentations dans des séries, et qui arrivent à transcender ce sujet même de la transidentité.
Sur un sujet connexe, je me suis fait la même réflexion sur la mini-série gay du moment « Fellow travellers » où on a deux mecs homos qui vivent une histoire singulière entre les années 50 et 80. Les deux mecs sont Matt Bomer et Jonathan Bailey, et ils ne sont absolument pas crédibles en mecs pédés dans le placard des années 50, dans le sens où à cette époque les mecs n’avaient absolument pas des corps aussi secs, dessinés et musclés avec des abdos taillés à la serpe. Or, la série est aussi là pour montrer des magnifiques pédés aux corps parfaits comme on les célèbre aujourd’hui. Je trouve ça naze, et un manque criant de fidélité à une reconstitution historique.
Bref, j’arrête avec ce privilège de la Beauté, mais il faudra que j’en fasse une tartine un de ces quatre.
J’ai souri récemment, quand je parlais de mon filleul à une de ses anciennes profs. Et elle me parlait de problématiques de racisme qu’elle avait constatées, notamment lorsque des enfants d’origines magrébines se retrouvaient dans de bons lycées à majorité blanche. Mon filleul est lycéen depuis la rentrée justement dans un de ces bons lycées, et je m’enquérais2 auprès d’elle s’il pouvait avoir des problèmes similaires. Elle m’a tout de suite rassuré : Non il est trop mignon pour ça. Il aura tous les copains et copines qu’il voudra.
Et c’est vrai que j’ai pu constater comme la beauté est un privilège efficace pour se prémunir de certains racismes (pas les plus profonds et rétrogrades). Mais il n’est jamais cité dans les convergences de luttes ou de haines. Peut-être justement parce que c’est un privilège bien distribué dans la population ? Mais finalement non, puisque les normes de la beauté changent, et qu’il y a plus d’inclusion aujourd’hui dans ces principes normatifs mêmes (au-delà de l’injonction morale à dire en toute hypocrisie qu’il y a de la beauté dans toutes et tous… mais oui, et puis finalement c’est pas faux en plus ).
Mais donc cela restera toujours un privilège tacite, et une discrimination à l’opposée tout aussi silencieuse et taboue ? Je n’arrive pas à m’imaginer un changement pareil, mais peut-être que ça viendra avec le temps.
- J’ai beaucoup expliqué qu’il était avec moi pour ma grosse bite, et ça avait à l’époque convaincu un nombre surprenant de gens, alors que je disais vraiment ça sous forme de boutade imbécile. ↩︎
- Purée, je suis pas du tout sûr de moi là. Comment je conjugue ça M. Fraises ?? ↩︎
Figure-toi que, comme je doute tout le temps, j’ai été vérifier. Oui oui, c’est je m’enquérais.
Avant que tu ne mentionnes le laideronomètre, je pensais au sketch dans LCASR mais bon, c’est une référence culte pour tous les bons gays qui se respectent (et même qui ne se respectent pas).
Même si moi je les trouve moches (tout est relatif comme tu le dis justement) les acteurs jouant les frères Menendez (dont l’un est d’ailleurs très très con) ont eu pendant des années des fans transies avec qui ils ont correspondu. Quand je pense que la série Netflix qui s’est inspirée de leur histoire va concourir aux Golden Globes, les vrais Menendez ne vont plus se sentir péter (déjà que…)
Merci pour la vérification !! Et sinon, oui heureusement que tout est relatif, et qu’on n’est pas strictement beau ou moche pour tout le monde, et que les charmes agissent aussi de concert.
Le truc qui a toujours existé est d’autant plus amplifié aujourd’hui que tout est de plus en plus basé sur la forme que sur le fond, sur le paraître que sur… que sur… que sur… bah tout le reste !
Et pour ce qui est de Luigi M., imagine seulement si en plus d’être moche, il avait été musulman… les peines pour la convergence des haines semblent cumulables…
Oh oui, ç’aurait été un déferlement…
Cet article soulève évidemment deux questions essentielles:
-où peut-on trouver une photo (d’époque!) de ce fameux M.? Simplement pour vérifier les propos de maman, hein.
-la « grosse bite » n’est-elle qu’une rumeur??
Et pour « s’enquérir », t’as tout bon :-)
https://leconjugueur.lefigaro.fr/php5/index.php?verbe=s%27enquerir
(site parfait aussi pour écrire les nombres en lettres. Oui, je sais: rien a voir avec cet article. A la place du verbe à conjuguer tu saisis un nombre et hop tu l’as en lettres)
Merci pour ce « tip », j’ai parfois des soucis pour les nombres, mais surtout pour la règle d’accord des adjectifs de couleurs, je vais tout le temps la vérifier celle-ci !!!
Il y a un super épisode de 30 Rock avec Jon Hamm en guest star, gentil, concon mais super beau et tout le monde lui pardonne tout
Et Jon en plus il est méga TBM !!
Oui mais je crois justement que dans la série il est nul aussi sur ce point parce qu’aucune meuf ne lui a appris
J’ai pu également observer plusieurs cas de discrimination négative pour cause de trop grande beauté dans des jobs qui ne nécessitaient pas de présenter particulièrement bien : la personne très belle est considérée comme n’ayant rien à faire là (conseiller bancaire, monteuse de cinéma …). Car il y a un implicite fort : si ta beauté est exceptionnelle, tu es censé en faire commerce, être acteur ou actrice ou mannequin ou présentateur de télé …
(De même que quelqu’un de très très grand et fin surprendra s’il n’est pas basketteur ou mannequin ; et je me souviens des mésaventures de Peter Crouch et ses 2 m que son sport à lui c’était le football et comme il a bien galéré (des ITW sont visibles ici ou là et très drôles, humour anglais)).
La hype autour de Luigi M me fait me poser plein de questions (je ne sais tellement pas quoi en penser que je ne sais pas ce que j’en pense).
Pour moi les exemples que tu cites sont des exceptions. Et moi aussi je m’interroge sur la hype autour de Luigi, et reste assez circonspect.
Et pourtant, j’ai eu une collègue pour qui Michel Blanc et Dino (de Shirley et Dino) étaient l’apogée de la beauté masculine (pour de vrai). Alors, c’est quoi, la beauté ?
Il faut toujours des exceptions. Un peu comme mon M qui n’aime pas les gens aussi beaux que lui. Ça existe mais ce n’est pas légion.
Dans le numéro des 60 ans, l’Obs ressort un article de 2001 sur Loft Story. On y lit ceci sur la sélection des candidats : Officiellement, les critères physiques n’existent pas, mais on ose imaginer que les petits gros à lunettes n’ont pas eu toutes leurs chances. « La sélection s’est faite d’elle-même, assure Didier Destal. Finalement, on n’a pas vu beaucoup de moches. Mais les candidats retenus ne sont pas des top models, il faut quand même que les téléspectateurs puissent s’identifier à eux. ». Ça en dit long !
Pour avoir été harcelé gamin sur des critères physiques, je mesure bien ce privilège de la beauté, le schéma que ça te met en tête, la relation aux autres que ça construit, le temps qu’il faut pour s’en dégager…
Pour autant, les critères de beauté restent si subjectifs qu’ils ne semblent pas empêcher de trouver des âmes sœurs !
C’est un privilège mais pas forcément un avantage par rapport à des personnes qui doivent plus s’adapter ou lutter contre l’adversité. Tout cela doit se peser entre des privilèges qui rendent « fainéant » ou une discrimination qui grève totalement un développement. Tout cela est évidemment plus subtil que ça en a l’air.
Morale de l’histoire : ni trop beau ni trop moche, le juste milieu pour être heureux
Merci pour tes réflexions si intéressantes.
Et puis, la beauté, c’est une question de regard et d’époque.
Les femmes replètes de Rubens étaient magnifiques en leur temps; aujourd’hui, certainement trop grosses… Et les mannequins squelettiques des année 1980, 1990 ne sont plus tant admirées de nos jours.
Et dans les yeux de l’aimant, l’aimé est toujours beau
Je parle bien du privilège, même si les canons changent, et clairement ils changent, je suis certain que la beauté était aussi un privilège à l’époque. Et oui c’est bien un sujet pour lequel la médiocrité est le salut !!!
Je pensais écrire un article sur mangione mais toujours pas fini.
Il y a une nouvelle discipline scientifique qui s’appelle la neuro esthétique et qui cherche à comprendre les bases biologiques sur lequel repose notre attrait pour la beauté.
Ce ne sont que des résultats préliminaires mais face à quelque chose de beau, il y a un réseau neuronal qui s’active que ce soit face à un beau visage, un tableau, une belle musique ou une formule mathématique pour les plus scientifiques d’entre nous. Je fais que ce réseau s’active face à quelque chose de beau tend à montrer qu’il y a quand même des éléments que l’on ignore actuellement et qui défini le beau.
Ce qui est marrant c’est que le réseau qui est activé face à quelque chose de beau s’appelle le réseau du mode par défaut (MPD), le réseau d’état par défaut ou réseau d’absence de tâche. C’est le réseau qui est actif lorsqu’un individu n’est pas focalisé sur le monde extérieur, sur une tâche précise. C’est le réseau qui serait responsable de l’introspection et qui serait en jeu durant la méditation. Il comprend entre autre le circuit de la récompense.
En gros, on ne sait pas trop pourquoi mais notre cerveau active son réseau du mode par défaut quand il ressent du beau, et sa lui procure du plaisir.
La reconnaissance du beau est un avantage évolutif et adaptatif si important qu’il a été conservé à travers les millénaires.
« Cet unisson, ce «moment où le cerveau détecte une certaine harmonie entre le monde extérieur et notre représentation intérieure de nous-mêmes» nous donne l’impression que la beauté «nous touche du dedans»
https://www.insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/un-nouveau-modele-du-reseau-cerebral-du-mode-par-defaut
https://www.letemps.ch/sciences/cerveau-estil-affame-beaute?srsltid=AfmBOooU9BfSzwlR0D346ru7yH1KEwARaH7jZvKvnNrMt4VDOXzY8eOw
On l’oublie trop souvent mais nous sommes des animaux dont le cerveau analyse sans que l’on en ait conscience une multitude de facteurs dans les premières secondes de la rencontre avec l’autre.
La taille (et la grosseur des nibards chez les femmes) aussi influencent les salaires et les promotions et tout ça: plus t’es grand(e) et plus tu gagnes d’argent, c’est prouvé. En même temps, les femmes gagnent en général moins que les hommes, donc je me demande si une magnifique et grande femme avec des gros nibards gagnent plus que la moyenne des hommes, ou si elle fait malgré tout face à du sexisme en ce qui concerne son salaire.
Tu sais c’est quand on commence à faire des comparaisons et essayer de mesure les influences négatives des discriminations contre les influences positives des privilèges, et de mettre tout ça en équation, que ça part en cacahouètes.
Impossible donc de répondre cette épineuse et passionnante question !!
hum mouis la beauté est loin d’etre toujours un avantage. Depuis tres jeune on me trouve un air d’ephèbe et cela m’a attiré des pedophiles et des abus sexuels. La « beauté » n’est qu une tenebreuse etiquette qui se retourne contre soi, je peux largement en temoigner. Perso, je prefere les qualites morales comme la bienveillance plutot que l obsession du jeunisme artificiel et factice.