MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Iwak #29 – Leçon

Iwak c’est Inktober with a keyboard, donc tout le mois d’octobre : un article par jour avec un thème précis.

Il y a d’abord cette citation qui vient des mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar :

Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n’aurais aucun droit, ni aucune raison, d’essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leur propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moments, ou j’aurais pu l’être. Entre autrui et moi, les différences sont trop négligeables pour compter dans l’addition finale. Je m’efforce donc que mon attitude soit aussi éloignée de la froide supériorité du philosophe que de l’arrogance du César. Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs : cet assassin joue proprement de la flûte ; ce contremaître déchirant à coups de fouet le dos des esclaves est peut-être un bon fils : cet idiot partagerait avec moi son dernier morceau de pain. Et il y en a peu auxquels on ne puisse apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d’essayer d’obtenir de chacun en particulier les vertus qu’il n’a pas, et de négliger de cultiver celles qu’il possède.

C’est un résumé assez impressionnant (d’un pan) de la pensée stoïcienne, mais c’est évidemment surtout son successeur et héritier adoptif, Marc-Aurèle, qui sera (et l’est encore aujourd’hui) dénommé l’Empereur-Philosophe. Et même si j’en ai parlé et reparlé ici, tout a en réalité commencé par cette « vérité » d’Épictète dont le « Manuel » du stoïcisme est une référence puisque c’est un de ces disciples (Arrien) qui a compilé ses « notes de cours » pour notre édification.

Il y a des choses que nous contrôlons et d’autres que nous ne contrôlons pas. Ce que nous contrôlons, ce sont nos jugements, nos opinions, nos objectifs, nos désirs, nos peurs — en bref, nos pensées et nos actions. Ce que nous ne contrôlons pas, c’est notre apparence physique, la classe sociale dans laquelle nous sommes nés, notre réputation aux yeux des autres, la richesse, la célébrité, le pouvoir ou les honneurs qui pourraient nous être accordés.

Tant que nous restons dans notre sphère de contrôle, nous sommes naturellement libres, indépendants et forts. En dehors de cette sphère de contrôle, nous sommes faibles, limités et dépendants.

Souviens-toi donc que si tu fondes tes espoirs sur des choses que tu ne contrôles pas, ou si tu considères comme t’appartenant des choses qui appartiennent aux autres, tu seras susceptible de trébucher, de tomber, de souffrir et de blâmer les Dieux et les hommes. Mais si tu concentres ton attention seulement sur ce qui te concerne et laisse aux autres ce qui les concerne, alors tu seras maître de ton esprit. Personne ne pourra te blesser ou te nuire. Tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras rien malgré toi, personne ne te nuira et tu n’auras pas d’ennemis.

Si tu souhaites la sagesse et la tranquillité, libère ton attachement de tout ce qui est hors de ton contrôle. C’est le chemin vers la liberté et le bonheur. Si tu ne veux pas seulement la sagesse et la tranquillité, mais aussi le pouvoir et la richesse, tu risques de compromettre les premiers en essayant d’atteindre les seconds. Et en chemin, il est absolument certain que tu perdras liberté et bonheur.

A chaque fois qu’une idée pénible ou une contrariété apparait dans ton esprit, rappelle toi de te dire « Ce n’est que mon interprétation, pas la réalité elle-même ». Puis examine-la et demande toi si elle est sous ton contrôle ou au contraire hors de ton contrôle. Et si c’est hors de ton pouvoir de la contrôler, dit simplement « Cela ne me concerne pas » et laisse la aller.

Manuel d’Epictète — Chapitre 1 (publié vers 125 Ap JC)

Aaaah la quête pour l’ataraxie, la paix de l’âme, un principe si bouddhiste qu’il est possible qu’il ait été introduit en Grèce suite aux incursions d’Alexandre le Grand en Inde, et tous les échanges (entre deux bastons) qui en ont résulté.

Mais avec la plume de Marc-Aurèle, c’est vrai que ses pensées pour lui-même sont des messages majeurs pour moi. Et je suis super troublé de lire que c’est le cas aussi pour Louis Sarkozy, ce qui me fait me demander si je ne me suis pas leurré, ou lui ? On doit sans doute être deux zélotes qui parvenons à nous approprier ces pensées et principes directeurs avec pourtant des principes moraux dans le fond qui sont à peu près à 180° (car on met le doigt sur ce qui nous parle, et on détourne le regard sur des choses plus gênantes, et on interprète aussi évidemment à l’envi).

De Sextus : la bienveillance ; l’intelligence de ce que c’est que vivre conformément à la nature ; la gravité sans affectation ; la sollicitude attentive pour les amis ; la patience envers les ignorants et envers ceux qui décident sans avoir réfléchi ; l’art de s’accommoder à toutes les espèces de gens, de telle sorte que son commerce était plus agréable que toute flatterie, et qu’il leur imposait, par la même occasion, le plus profond respect ; l’habileté à découvrir avec intelligence et méthode et à classer les préceptes nécessaires à la vie ; et ceci, qu’il ne montra jamais l’apparence de la colère ni d’aucune autre passion, mais qu’il était à la fois le moins passionné et le plus tendre des hommes ; l’art de savoir sans bruit adresser des louanges, de connaître beaucoup sans chercher à briller.

Livre 1 – IX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Il ne faut pas seulement considérer que la vie chaque jour se consume et que la part qui reste diminue d’autant. Mais il faut encore considérer ceci : à supposer qu’un homme vive longtemps, il demeure incertain si son intelligence restera pareille et suffira dans la suite à comprendre les questions et à se livrer à cette spéculation qui tend à la connaissance des choses divines et humaines. Si cet homme, en effet, vient à tomber en enfance, il ne cessera ni de respirer, ni de se nourrir, ni de former des images, ni de se porter à des impulsions, ni d’accomplir toutes les autres opérations du même ordre ; mais la faculté de disposer de soi, de discerner avec exactitude tous nos devoirs, d’analyser les apparences, d’examiner même s’il n’est point déjà temps de sortir de la vie, et de juger de toutes les autres considérations de ce genre qui nécessitent une raison parfaitement bien exercée, cette faculté, dis-je, s’éteint la première. Il faut donc se hâter, non seulement parce qu’à tout moment nous nous rapprochons de la mort, mais encore parce que nous perdons, avant de mourir, la compréhension des questions et le pouvoir d’y prêter attention.

Livre 3 – I des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Vénère la faculté de te faire une opinion. Tout dépend d’elle, pour qu’il n’existe jamais, en ton principe directeur, une opinion qui ne soit pas conforme à la nature de la constitution d’un être raisonnable. Par elle nous sont promis l’art de ne point se décider promptement, les bons rapports avec les hommes et l’obéissance aux ordres des Dieux.

Livre 3 – IX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Si tu remplis la tâche présente en obéissant à la droite raison, avec empressement, énergie, bienveillance et sans y mêler aucune affaire accessoire ; si tu veilles à ce que soit toujours conservé pur ton génie intérieur, comme s’il te fallait le restituer à l’instant ; si tu rattaches cette obligation au précepte de ne rien attendre et de ne rien éluder ; si tu te contentes, en ta tâche présente, d’agir conformément à la nature, et, en ce que tu dis et ce que tu fais entendre, de parler selon l’héroïque vérité, tu vivras heureux. Et il n’y a personne qui ne puisse t’en empêcher.

Livre 3 – XII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d’isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s’il possède, en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n’entends rien d’autre qu’un ordre parfait.

Accorde-toi donc sans cesse cette retraite, et renouvelle-toi. Mais qu’il s’y trouve aussi de ces maximes concises et fondamentales qui, dès que tu les auras rencontrées, suffiront à te renfermer en toute ton âme et à te renvoyer, exempt d’amertume, aux occupations vers lesquelles tu retournes. Contre quoi, en effet, as-tu de l’amertume ? Contre la méchanceté des hommes ? Reporte-toi à ce jugement que les êtres raisonnables sont nés les uns pour les autres, que se supporter est une partie de la justice, que les hommes pèchent involontairement, que tout ceux qui jusqu’ici se sont brouillés, soupçonnés, haïs, percés de coups de lances, sont allongés, réduits en cendres ! Calme-toi donc enfin.
[…]

Il reste donc à te souvenir de la retraite que tu peux trouver dans le petit champ de ton âme. Et, avant tout, ne te tourmente pas, ne te raidis pas ; mais sois libre et regarde les choses en être viril, en homme, en citoyen, en mortel. Au nombre des plus proches maximes sur lesquelles tu te pencheras, copte ces deux : l’une, que les choses n’atteignent point l’âme, mais qu’elles restent confinées au-dehors, et que les troubles ne naissent que de la seule opinion qu’elle s’en fait. L’autre, que toutes ces choses que tu vois seront, dans la mesure où elles ne le sont point encore, transformées et ne seront plus. Et de combien de choses les transformations t’ont déjà eu pour témoin ! Songes-y constamment. « Le monde est changement ; la vie, remplacement. »

Livre 4 – III des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Tout ce qui arrive est aussi habituel et prévu que la rose au printemps et les fruits en été ; il en est ainsi de la maladie, de la mort, de la calomnie, des embûches et de tout ce qui réjouit ou afflige les sots.

Livre 4 – XLIV – III des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

On n’a pas lieu d’admirer ton acuité d’esprit. Soit. Mais il est bien d’autres qualités dont tu ne peux pas dire : « Je n’ai pour elles aucune disposition naturelle. » Acquiers-les donc, puisqu’elles dépendent entièrement de toi : sincérité, gravité, endurance, continence, résignation, modération, bienveillance, liberté, simplicité, austérité, magnanimité. Ne sens-tu pas combien, dès maintenant, tu pourrais acquérir de ces qualités, pour lesquels tu n’as aucune incapacité naturelle, aucun défaut justifié d’aptitude ? Et cependant tu restes encore de plein gré au-dessous du possible. A murmurer, lésiner, flatter, incriminer ton corps, chercher à plaire, te conduire en étourdi et livrer ton âme à toutes ces agitations, est-ce le manque de dispositions naturelles qui t’y oblige ? Non, par les Dieux ! Et, depuis longtemps, tu aurais pu te délivrer de ces défauts, et seulement, si c’est vrai, te laisser accuser de cette trop grande lenteur et de cette trop pénible difficulté à comprendre. Mais, sur ce point même, il faut t’exercer, et ne point traiter par le mépris cette lourdeur, ni t’y complaire.

Livre 5 – V des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Poursuivre l’impossible est d’un fou. Or, il est impossible que les méchants ne commettent point quelques méchancetés.

Livre 5 – XVII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Ne suppose pas, si quelque chose t’est difficile, que cette chose soit impossible à l’homme. Mais, si une chose est possible et naturelle à l’homme, pense qu’elle est aussi à ta portée.

Livre 6 – XIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Si quelqu’un peut me convaincre et me prouver que je pense ou que j’agis mal, je serai heureux de me corriger. Car je cherche la vérité, qui n’a jamais porté dommage à personne. Mais il se nuit, celui qui persiste en son erreur et en son ignorance.

Livre 6 – XXI des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Personne ne t’empêchera de vivre selon la raison de ta propre nature ; rien ne t’arrivera qui soit en opposition avec la raison de la nature universelle.

Livre 6 – LVIII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Creuse au-dedans de toi. Au-dedans de toi est la source du bien, et une source qui peut toujours jaillir, si tu creuses toujours.

Livre 7 – LIV des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

[…] Si tu as donc exactement compris où tu en es, ne te soucie plus de ce qu’on peut penser de toi, mais contente-toi de vivre le reste de ta vie, quelle qu’en soit la durée, comme le veut la nature. Réfléchis donc à ce qu’elle veut, et qu’aucun autre souci ne te distraie. […]

Livre 8 – I des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Les hommes sont faits les uns pour les autres ; instruis-les donc ou supporte-les.

Livre 8 – LIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Tu peux supprimer bien des sujets pour toi de trouble superflus et qui n’existent tous qu’en ton opinion. Et tu t’ouvriras un immense champ libre, si tu embrasses par la pensée le monde tout entier, si tu réfléchis à l’éternelle durée, si tu médites sur la rapide transformation de chaque chose prise en particulier, combien est court le temps qui sépare la naissance de la dissolution, l’infini qui précéda la naissance comme aussi l’infini qui suivra la dissolution !

Livre 9 – XXXII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Il ne s’agit plus du tout de discourir sur ce que doit être l’homme de bien, mais de l’être.

Livre 10 – XVI des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Dans l’art de l’écriture et de la lecture, tu ne peux enseigner avant d’avoir appris. Il en est de même, à plus forte raison, de l’art de la vie.

Livre 11 – XXIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Le salut de la vie consiste à voir à fond ce qu’est chaque chose en elle-même, quelle est sa matière, quelle est sa cause formelle ; à pratiquer la justice, du fond de son âme, et à dire la vérité. Que reste-t-il, sinon à tirer parti de la vie pour enchaîner une bonne action à une autre, sans laisser entre elles le plus petit intervalle ?

Livre 12 – XXIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.
  • On peut apprécier les mêmes œuvres en les interprétant de façon opposée. Je ne serais pas surprise que le lecteur que tu évoques tire de ses lectures des conclusions à l’envers de ce qui fut exprimé.

    • Et d’ailleurs typiquement, cet extrait du livre VI : « Ne suppose pas, si quelque chose t’est difficile, que cette chose soit impossible à l’homme. Mais, si une chose est possible et naturelle à l’homme, pense qu’elle est aussi à ta portée. »
      Tu le lis tu es un petit Matoo qui doit tenir bon au boulot, la grosse machinerie entrepreneuriale finirait par te faire douter de toi, ces paroles t’encouragent à tenir bon, te dire que malgré l’adversité, tu y arriveras.
      Lu par un homme imbu de lui-même ça lui dira : Sympa le Marco, il parlait de moi il y a si longtemps déjà. Bien sûr que rien n’est hors de ma portée.
      Et vous serez deux admirateurs de Marc Aurèle. Mais vraiment pas pour les mêmes raisons.

      • Oui je pense que tes exemples sont bons, mais cela m’interpelle tout de même. Car je peux aussi me tromper moi, ou simplement cela met en exergue que les aphorismes ont une limite : un peu comme les prédictions astrologiques dans lesquelles on arrive tous à se retrouver avec un peu de réflexion. :clindoeil: :rire:

  • Pas bête le gars! J’ai en ce moment une énorme difficulté à sortir de chez moi, je ne veux pas qu’on me « voit » telle que je suis. J’essayerai de me souvenir de l’histoire de « Ce que nous ne contrôlons pas, c’est notre apparence physique… » et de ne pas essayer de contrôler ça… (très gros soupir…)

    • Globalement cet adage sur ce qu’on contrôle, et ce qu’on ne contrôle pas, m’a énormément aidé lorsque je devenais trop anxieux sur des sujets hors de ma portée. C’était vraiment une des parties très éclairante et opérante du stoïcisme dans ma propre pratique de vie.

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