Iwak c’est Inktober with a keyboard, donc tout le mois d’octobre : un article par jour avec un thème précis.
J’ai réalisé avec étonnement que je n’avais jamais évoqué le film Freaks de Tod Browning dans le blog, alors que c’est un de mes films cultes. Ce film de 1932 qui est plutôt un moyen-métrage avec ses 64 minutes est un chef d’œuvre selon moi. Il a fait à a fois scandale et a été un bide pour le réalisateur (qui avait eu beaucoup de succès en 1931 pour son Dracula avec Bela Lugosi), et on a longtemps cru ce film perdu jusqu’à ce qu’on en retrouve les bobines dans les années 60, et qu’il soit redécouvert.
Je l’ai vu adolescent avec mes parents, surtout mon père qui voulait absolument nous le montrer. Et nous avions été fascinés par cette histoire, et en réalité très touchés par les comédiens et comédiennes qui étaient de vrais artistes de cirques mais aussi malheureusement ce qu’on peut appeler des bêtes de foire, puisqu’il faut bien se rappeler de l’exploitation qui était faite de ces personnes à l’époque dans les cirques. Le titre en français est bien explicite c’est la monstrueuse parade. Mais c’est fou de constater que tous ces artistes ont des pages wikipédia et sont de vraies personnalités « connues » de leur époque.
Parmi ceux-là, l’homme tronc m’avait hyper impressionné. Il s’agit de Prince Randian (1871-1934) qui venait de l’ancienne Guyane britannique, et était atteint d’une maladie génétique très rare faisant qu’il était né sans bras ni jambe. Et l’impression très forte vient de cette scène fameuse où cet homme se roule et s’allume une cigarette en toute autonomie.
Ce que j’aime dans le film, c’est que les Freaks sont les héros, un peu comme King Kong est à la fois le monstre et le héros (et je parle bien du film de 1933 qui est également culte pour moi). Le parti pris est très clair dans ce film, dans le fait de montrer un monstre qui est aussi une victime, et dont on voyait bien qu’il n’était pas un monstre (notamment avec Ann Darrow, l’héroïne), mais que l’ostracisme des humains poussait à bout. Comparaison n’est pas raison évidemment, et je ne fais qu’un lien très subliminal entre les deux films. Mais l’exposition des Freaks de Browning avec une communauté soudée et fière, avec la protection maternelle et touchante de Rose Dionne au début du film qui nous montre un bel accent français (le film se passe lors d’une tournée d’un cirque en France, et elle est une actrice américaine mais née à Dardilly près de Lyon) est à la fois frappante par la mise en exergue du handicap ou de la « curiosité » de ces personnes, mais finalement plutôt bienveillante.
Tandis que les méchants sont vraiment et très clairement méchants. Et donc c’est une logique et une philosophie à la Tarantino selon moi. Je te montre des méchants très méchants, et donc mes victimes tu vas les aimer, et tu vas supporter une vengeance impitoyable parce que c’est un prêté pour un rendu. Et même lorsque la monstrueuse parade se met en marche dans une scène parfaitement horrifique, encore aujourd’hui, on jubile en réalité pour ces héros. Et ce qu’il advient de la belle Cléopâtre est le cruel pied de nez qui frappe l’imagination (et qui fait comprendre pourquoi le film a été vraiment trop choquant pour l’époque).
Alors je sais que c’est casse-gueule au vu des considérations actuelles sur les handicaps et leurs visibilités et inclusion dans la société. Mais je trouve que le film, avec toute la relativité d’une œuvre de plus de 90 ans, reste très juste. Il est à la fois caricatural dans la représentation et les clichés véhiculés, mais en réalité il les démonte aussi dans un temps très proche. Il avait en tout cas produit sur l’adolescent que j’étais à la fois une gêne (qu’il ne faut pas nier), mais surtout une immense considération et affection pour ces personnages, et la conscience de l’importance de la communauté pour des minorités, quelles qu’elles soient.

