Je suis depuis maintes années ce blogueur dont j’aime les goûts éclectiques, et l’esprit parfois fantasque et toujours terriblement nerd. Et là il sort un livre qui est tellement ma came. Tout est basé sur le fameux cavalier d’Euler… (C’est un ouvrage pour David Madore aussi tiens.)
Le programme que j’ai mis au point pour produire mon petit livre n’est pas très intelligent, il est même particulièrement laborieux. Il commence avec le cavalier blanc de gauche (B1), qui a trois déplacements possibles (A3, C3, D2). Il choisit une de ces destinations au hasard. Une fois sur la seconde case, il vérifie le nombre de possibilités qui lui sont offertes et choisit, toujours aléatoirement, une de celles-ci, en excluant de la liste les éventuelles cases sur lesquelles il est déjà passé. Et ainsi de suite jusqu’au moment où il n’est plus possible de trouver une case qui n’a pas été visitée. Là, je stocke le trajet et je recommence en partant de la cases B1. Quand j’ai obtenu 64×64 (4096) trajets différents, je les classe par nombre de sauts puis les calculs s’arrêtent et je passe à la mise-en-page du livre.
Knight Moves Exhaustion (Jean-noël Lafargue)
Le programme commence par créer un fichier pdf, passe une page, écrit le titre, puis dessine les soixante-quatre premiers circuits sur une page, les soixante-quatre suivants sur une la page suivante, et ainsi de suite jusqu’à obtenir soixante-quatre pages qui, donc, contiennent chacune soixante-quatre circuits réalisés sur un échiquier (que l’on doit deviner, car je ne le dessine pas, lui) de soixante-quatre cases. Mais ce n’est pas tout à fait terminé : une fois l’ensemble des dessins réalisés, le programme se lit lui-même et s’ajoute au livre. Ainsi, on revient à l’antiquité de la micro-informatique, quand les programmes ne se stockaient pas sur des supports magnétiques mais sur du papier : la personne patiente qui recopiera mon code (un code assez foutraque et hésitant) pourra produire mon livre, ou plutôt, une version de mon livre, puisque celui-ci, partiellement construit par le hasard, ne contient jamais que 4096 trajets du cavalier parmi les 13 267 364 410 532 possibles.
Mon programme ajoute enfin le colophon au cahier intérieur, puis crée la couverture du livre en y dessinant le dernier des trajets réalisés par mon cavalier — le plus complexe —, et en dessinant sur la quatrième le premier et le plus sommaire de ces circuits. Entre le moment où j’ai lancé le programme et le moment où le livre était fait et prêt à être imprimé, il s’est écoulé deux minutes, mais évidemment, le programme n’a pas été écrit en deux minutes, lui.
Je n’ai nullement l’ambition de résoudre une quelconque énigme mathématique, mes lignes de code se contentent, poussivement, erratiquement, de dessiner 4096 circuits de complexité graduelle, et échoue à parcourir (il eut fallu un beau hasard pour que cela arrive) l’ensemble des soixante-quatre cases de l’échiquier. Échouer aux Échecs, ça semble être dans l’ordre des choses. Mon cavalier fait de son mieux, errant au gré du hasard et des contingences. Confusément, je me dis qu’on peut en tirer une métaphore de l’existence, mais ne philosophons pas trop, nous n’en avons pas les moyens et cela risquerait de se voir.