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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le référentiel en question

On l’apprend très tôt en communication, notamment grâce à ce putain de génial schéma de Jacobson, mais il est très très difficile de faire passer un message.

Schéma de Jacobson

Eh oui, c’est super con mais ça m’avait complètement abasourdi quand une consultante nous avait montré ce truc à l’école quand j’avais 21 balais. A la base, cela sert (en tout cas dans le cadre où moi je l’ai découvert) à mieux savoir délivrer un message quand on est markéteur, mais dans la vie de tous les jours, c’est plus qu’utile d’avoir cela en tête. Et même si intuitivement cela paraît tomber sous le sens, cela fait du bien d’en avoir une vue si simple, cohérente et relativement complète. (Je ne suis pas du tout un spécialiste donc vous avez le droit de crier à l’escroquerie, mais je vous livre ce que j’ai en tête, comme d’hab, avec tous ses défauts !!)

Pour que la communication ait lieu on a donc un émetteur et à l’autre bout d’un canal un récepteur. Le canal a une influence sur la manière dont le message est reçu ou même parasité, en effet on peut avoir une conversation au téléphone, ou bien par écrit, ou en face à face, et donc c’est à prendre en compte. Le message en lui-même est la transcription en mots de ses propres pensées, et là encore de la pensée à sa verbalisation, on a déjà perdu pas mal de « sens ». Je n’évoque pas les traductions en langue étrangère, mais c’est aussi un élément important. Ensuite, on doit prendre en considération deux grandes influences sur la communication, la fonction métalinguistique et le référentiel. Une langue commune est déjà essentielle pour se comprendre bien évidemment, mais au-delà de cela, il s’agit aussi d’avoir un « code » commun. Par exemple, si l’on veut comprendre le message d’un ado skyblogueur il vaut mieux connaître la signification de kikoolol, ou parce qu’on utilise souvent du jargon technique dans nos métiers, il est parfois nécessaire d’en assurer le glossaire ou de réinjecter des définitions de plus bas niveau dans certains messages. On entend aussi dans métalinguistique tout ce qui est « autour » du langage, c’est-à-dire tous les sous-entendus et les nuances que l’on peut trouver au sein même de la grammaire, ce qui peut être primordial pour certaines langues (notamment le japonais).

Enfin le référentiel qui est mon préféré, car encore une fois cela tombe sous le sens, mais on en a rarement conscience. Eh bien, toute notre communication fonctionne parce qu’on se connaît et qu’on est « assez proche », et qu’on partage des références communes. Qu’il s’agisse de valeurs ou d’un historique, le référentiel est le « background » des interlocuteurs. Bagage culturel, éducation, histoire personnelle, conceptions ou idées politiques, tous nos discours sont perçus différemment selon le référentiel des gens qui reçoivent ce message. Or nous créons en général nos messages à destination d’une population cible dont on essaie de trouver le référentiel commun le plus large afin de bien véhiculer nos idées, d’où parfois une certaine complexité des discours très différents d’une population à l’autre pour exprimer la même chose.

Là où la chose se complique, et où parfois le bât blesse, c’est lorsque des messages s’échappent, et des populations aux référentiels différents le reçoivent. L’incommunicabilité peut alors prendre de graves proportions. Et on voit cela tous les jours sur le web ou ailleurs. Après le référentiel est parfois une excuse pour pas mal de politiques et de bourdes en général. « Nan mais c’était pas du tout ce que je voulais dire. » Le référentiel est ce qui donne aussi un sens global, et qui permet à la fois d’aller plus vite en sous-entendant des choses, mais aussi de se tromper ou de tromper les autres lorsque les référentiels sont trop disjoints.

Ces dernières semaines, il y a eu quelques remous dans le landerneau militant gay avec cette fameuse (feu) affiche pour la prochaine Gay Pride parisienne :

Affiche de la Gay Pride Parisienne 2011 - Coq avec boa à plumes

Clairement quand j’ai vu ça, je n’ai pas trouvé que c’était une idée terrible… Je trouvais que ce n’était pas très beau et très fin, et j’y ai vu un raccourcis assez simpliste : gay = coq avec un boa… Mouai. Réducteur quand on pense à ce qu’est la Gay Pride et peu représentatif du coup etc. Mais quand j’ai lu les militants qui se sont carrément sentis outragés, qui ont évoqué une dérive nationaliste, ou qui criaient presque au fascisme, là j’ai trouvé que ça allait un peu loin pour moi. J’étais tout à fait prêt à accepter cette affiche (de toute façon, on ne me demande pas mon avis, huhu), même si elle n’était pas parfaite, car elle avait au moins le mérite de sortir un peu de l’ordinaire. Alors j’ai bien compris que derrière tout cela il y avait aussi pas mal de manœuvres politiques et (surtout) associatives et une décision pas du tout collégiale pour cette affiche qui a énervé certain(e)s. Mais j’imagine que l’affiche qui ne choquerait personne et finirait par être acceptée serait un tract en noir sur fond blanc (et avec mon pot, ils nous pondraient un truc en Comic Sans). Car on trouve des gens contre le drapeau gay, contre la Marche en elle-même si on creuse bien etc.

Je parlais précédemment de référentiels disjoints, mais au final j’ai l’impression que le plus compliqué n’est pas cela, car cela amène une incommunicabilité et fin de l’histoire. Alors que le plus pernicieux est sans doute le type de message qu’on lance en se pensant universel, parce qu’on a perdu de vue que notre référentiel n’est en fait que très partiel. Et le danger réel se trouve certainement plus dans l’imbrication des référentiels.

Tout dépend du point de vue et de l’imbrication des cibles : on ne parle pas à mes parents, comme à un militant gay, comme à un hétéro homophobe de droite. Et donc il n’y a pas de communication uniforme possible ou alors elle devient complètement informative et sans saveur. D’où l’immense difficulté de communiquer auprès du grand public sur des sujets casse-gueule. L’exercice est même assez simple si l’on se met deux secondes dans la peau de quelqu’un d’autre ou d’une partie de soi (soyons schizophrène !!). Je pense que le coq avec son boa peut autant être un symbole nationaliste de merde qu’une manière de faire la nique à des partis qui s’approprient ces symboles qui ne sont pas que négatifs, et qui mériteraient peut-être de recouvrer un sens nouveau. Le boa est autant un nauséabond rappel de la « Cage aux Folles », donc un élement qu’on essaie de minimiser pour éviter de sombrer dans les clichés de base (justement style extrême droite), mais c’est aussi un symbole de la fête chez les homos depuis toujours, et le coq affublé d’un boa fait partie des choses qui font qu’on rit aussi largement de nous mêmes. Je crois que mes parents n’y comprendraient rien (mais sont-ils la cible ?), que ça choquerait des gens de droite proprets (cool !!!) et des gens de gauche patriotes (mince), que des jeunes dans le vent s’y identifieraient tout de suite (ouaiiiii teuf à la Gay Pride, dresscode boas roses pour tout le monde), que d’autres n’y verraient que matière à plus de moquerie (pédé = plumes dans le cul encore vérifié cette année, check!), et j’en passe et des meilleurs.

Moi-même j’ai beaucoup évolué dans la manière dont je voulais que (mon) l’homosexualité soit perçue. Et aujourd’hui même, j’adapte mon discours à mes interlocuteurs, du très pédagogique au plus détendu, pour amener les gens à des étapes supérieures. D’abord on montre qu’on n’est pas un cliché, et puis on peut expliquer que le cliché existe, et que le cliché est même celui à qui on doit l’émancipation globale. Je me suis rendu compte que j’ai pratiqué comme cela avec moi-même, en rejetant les clichés (parce que j’en avais souffert gamin), puis en reconnaissant que la richesse de ce milieu gay c’était justement tout cela, et qu’on devait notre liberté actuelle à toutes ces folles qui se sont montrées et se sont battues (syndrome de Stonewall). De même avec mes parents, j’ai montré patte blanche pendant quelques années pour les rassurer, avant de me montrer juste comme j’étais, et aujourd’hui de véhiculer encore plus mon slogan classique « Fuck la bonne image !!« .

La semaine dernière, Virgile_ a touité une phrase que j’ai lié à mon tour car j’avais trouvé ce clin d’oeil drôle et bien senti.

Twit de Virgile_

On s’est payé un nombre assez hallucinant de répliques plus ou moins énervées, évoquant le fait de répandre des clichés, de caricaturer à outrance alors qu’un tel professe qu’il est tout le contraire, et un autre qui affirme aussi que pas du tout etc. D’ailleurs Virgile en a pondu un billet sur son blog pour évoquer de nouveau cela et avoir un peu plus de 140 signes pour s’exprimer, mais le résultat est identique. Or il s’agit encore clairement pour moi de référentiel et d’imbrication. Car lorsqu’on regarde les choses de loin, en jetant un petit coup d’oeil on peut observer ce gentil phénomène, mais en effet au cas par cas, et en se focalisant sur l’individu il est évident que les exceptions sont plus que nombreuses, mais surtout qu’on ne peut résumer la chose de manière si monolithique.

Et le problème est aussi là, on est jamais satisfait d’une opinion générale sur une communauté (quelle qu’elle soit) à laquelle on appartient. En revanche on accepte très bien celles sur les groupes « autres », et on est autant capable d’avoir des idées préconçues pour simplifier les choses et mettre dans des cases. Tout est encore question de savoir à quel niveau d’audience on se positionne. Le plus compliqué étant donc l’imbrication des référentiels et la multiplicité des audiences.

C’est pour cela qu’il est important aussi de positionner son référentiel autant que faire se peut, et de le mettre en exergue de ses messages, comme un en-tête. C’est difficile mais ça peut aider à lutter contre l’incommunicabilité et les signaux parasites.

  • Merci de me rappeler mes cours de communication. ;)

    Étudiant dans la création numérique, j’ai tendance à tendre vers un visuel simple pour délivrer un message, même complexe. Ce n’est pas une solution universelle (il faut s’adapter à chaque cas de figure), mais rester simple est gage d’efficacité face à la multiplicité des audiences. Il est possible de faire simple sans pour autant réduire aux cases des clichés.

    le grand dilemme du publicitaire: vendre un produit facilement avec une pub pré-digérée, ou faire évoluer les mentalités avec une pub qui donne à réflexion au risque de perdre des ventes?
    Les deux mon capitaine. C’est possible, j’y crois. :D

  • Ce même schéma fut un sujet de cours lors de ma formation d’aide-soignant : crois bien que dans mon métier, en hôpital et dans une région à forte identité, nous passons notre temps à brasser des représentations, à interpréter, à filtrer les éléments parasites ou à réorganiser nos moyens de communication (« transmissions » étant le mot-clé de notre efficacité).
    Le billet de Virgile, je l’avais lu sans humeur particulière parce qu’il restait fidèle à son auteur : aussi possiblement péremptoire qu’aussi possiblement dérisoire. Je suis sensible à tellement de canons masculins que sa déduction m’a spontanément paru simpliste (et donc délibérément caricaturale). J’espère du moins que c’était son objectif.
    Quant à l’affiche (dans laquelle, certes, je ne me reconnais en rien, ni au second ni au premier degré), je me demande ce que j’aurais été capable de pondre si j’avais été maquettiste. Il y a toujours un cliché qui traîne malgré soi, c’est l’essence du langage.

  • Mon dieu, que ces choses-là sont dites de manière compliquée ! Est-ce que tu avais vraiment besoin de passer par Jakobson (pas Jacobson) pour dire ce que tu as dit ? Les propos les plus intéressants du billet sont les tiens, pas les cours réchauffés d’un vieux consultant sur un schéma daté (et incomplet du reste).

  • je rebondis sur juste un passage de l’article parce que je partage ton aversion pour le comic sans MS: il semblerait qu’une étude scientifique ait prouvé qu’on apprend mieux si les cours sont écrits en comic sams MS que dans une police plus classique. Sauf pour la physique/chimie, mais ça c’est sans doute parce que c’est de toute façon le plus difficile à capter :xpleure: (<-larmes de sang)

  • Référentiel message, ça me fait penser à une ficelle et deux pots de yaourt en carton (surtout bien tendre le cordon) pratique exercée entre 68 et 72 (les années, pas les âges) :protection:

  • J’avais un exemple, pour montrer la même incompréhension :
    « Entre Ce que je pense,
    Ce que je veux dire,
    Ce que je crois dire,
    Ce que je dis,
    Ce que vous avez envie d’entendre,
    Ce que vous entendez,
    Et ce que vous comprenez, il y a autant de possibilités qu’on ne se comprenne pas. »

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