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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

La douleur de Manfred

Il y a quelques années j’avais eu une révélation pour cet écrivain irlandais, Robert McLiam Wilson, et son « Eureka Street » où dans un Belfast prolo et au prise avec le terrorisme, il nous décrivait une ribambelle de personnages dans des intrigues les plus réalistes et touchantes. J’avais aussi craqué pour le bouquin « Ripley Boggle » où à la manière d’un Irving et son « Monde selon Garp », l’auteur narrait l’incroyable et facétieuse vie d’un irlandais menteur comme un arracheur de dents. Un livre d’une force hallucinante autant dans l’écriture que dans la narration, un livre qui fait rire de ses sarcasmes autant qu’il émeut de sa verve poétique.

On est dans un registre tout à fait différent pour « La douleur de Manfred », mais la constante réside dans cette écriture qui me transporte à chaque fois autant dans sa puissance que dans sa beauté. Ce mec vous décrit des sensations, et vous savez exactement ce qu’il veut exprimer, vous pouvez ressentir les émotions qu’il couche sur le papier, comme si vous les aviez vous-même ressenti. Autant physique que moral, lire ce livre c’est pénétrer dans le monde secret et intime de Manfred, pour le meilleur et pour le pire.

Cet ouvrage est donc centré sur ce personnage, Manfred, qui est un homme âgé qui réside à Londres et qui vit ses dernières heures. En effet, il est très malade mais refuse toute aide médicale. Il souhaite plus ou moins expier dans la douleur avant de passer l’arme à gauche, et surtout ne pas retarder ce processus fatal. Le roman prend alors une forme plutôt classique et évoque tour à tour par flash-back des pans entiers de son existence. On assiste ainsi à des allers-retours entre le présent et les réflexions de Manfred qui l’encouragent à repasser mentalement le fil de sa vie, avec ses erreurs et ses turpitudes. Il le fait de manière chronologique, en commençant par son enfance et adolescence avec ses parents, puis sa conscription pendant la guerre et le rapport particulier à sa judéité, sa rencontre avec Emma et leur mariage, leur enfant etc. Et à la fin de chaque épisode biographique, on revient sur une nouvelle douleur actuelle, une nouvelle souffrance bien concrète et biologique, un nouvel effritement de ses fonctions vitales.

Petit à petit un portrait se dresse, image d’une destinée pleine de contrastes entre les bonheurs qu’il vit, les épreuves qu’il traverse et la relation à sa femme qui passe de l’idylle au fait qu’il la batte comme un salaud sans raison apparente, sinon une jalousie dévorante aux origines floues. En effet, Emma a un secret, un terrible secret lié à son passage dans les camps de la mort, et qui intrigue Manfred au point de faire une fixation dessus. C’est d’ailleurs le bris du sceau du silence qui libèrera Emma du joug de son mari, et démarrera le long processus de douleur de Manfred.

Le style de l’auteur et la qualité du récit autant que celle de l’écriture, m’ont fabuleusement plu et fasciné. Comme je le disais au début, cet écrivain n’a pas son pareil pour décrire en quelques mots une scène, une émotion ou une sensation. Et ce n’est pas tant une description anatomique précise et précieuse (ce n’est pas du Balzac), mais plutôt quelques mots banals qui finement orchestrés forment une métaphore qui s’adresse directement à l’esprit du lecteur, et forme mentalement des images d’une étourdissante réalité. Ainsi, les scènes de bataille pendant la guerre et la souffrance des soldats est insoutenable, la douleur de Manfred, elle-même, est tellement bien décomposée et scrutée qu’elle en devient palpable. Les passages qui traitent de l’amour et des sentiments amoureux sont traités avec autant d’authenticité et de brio.

Bref, c’est un bouquin qui tue sa race.

La douleur de Manfred - Robert McLiam Wilson

  • Etrange, mais la couverture est strictement la même que celle d’un bouquin de Tom Sharpe (un auteur « qui tue sa race »), dans un style – certes – infiniment plus léger.

  • c’est marrant parce que la structure du bouquin me rappelle un film de Youssef Chahine (La Mémoire, je crois) dans lequel le cinéaste subit une opération à coeur ouvert qui est l’occasion, pour lui, de se remémorer des pans entiers de sa vie…

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