C’est la première exposition thématique du musée d’histoire de Nantes que je visite (en dehors donc de la collection permanente du château), et je suis vraiment très impressionnée par la richesse de celle-ci. Les expos du musée d’Arts sont déjà d’un excellent niveau, mais là c’est clairement l’équivalent de ce qu’on peut trouver à Paris et dans les capitales européennes. C’est donc un panorama très complet et très riche sur la constitution et les caractéristiques de l’empire Mongol. Même si l’expo s’appelle Gengis Khan pour attirer le chaland, en réalité il n’est pas totalement au centre, même si c’est bien sûr un des protagonistes majeurs (c’est peu de le dire).
Après, on est dans une scénographie très classique et standard mais avec beaucoup d’explications très intéressantes (et une app gratuite plutôt bien fichue à télécharger au lieu d’un audioguide) et des cartels parfaitement autosuffisants et bien rédigés. Le parcours est à la fois chronologique et thématique, avec des thèmes qui s’égrènent pour bien comprendre les contextes qu’ils soient culturels, politiques, économiques ou sociaux. On trouve pléthore d’objets d’art, d’artisanat, mais aussi des céramiques, de l’orfèvrerie, des textiles, des armes etc. C’est d’une incroyable richesse avec des emprunts à des musées d’Oulan-Bator, mais aussi comme on peut s’y attendre des musées Guimet ou Cernuschi (et quelques pièces du musée de la Compagnie des Indes de Port-Louis).
Mais au-delà d’une exposition irréprochable sur le fond comme sur la forme, le sujet en tant que tel est absolument passionnant. On comprend vraiment bien ce qu’étaient ces peuplades nomades des steppes et zones désertiques de Mongolie, et pour lesquelles le cheval était à la base de toute leur vie. Et comment peu à peu, conquête après conquête, on a pu voir émerger simplement le plus grand empire de l’histoire de l’humanité. La carte du truc paraît totalement surréaliste (à l’époque de Kubilaï Khan, le petit fils de Gengis Khan, celui qui avait accueilli Marco Polo) !!
C’était hyper intéressant de voir comment ils ont mêlé à chaque fois des invasions brutales, mais aussi des négociations et énormément de diplomatie sans forcément aller jusqu’à la guerre. Et surtout il y avait vraiment cette volonté très marquée de faciliter les échanges (les fameuses routes de la soie), et d’avoir une économie florissante (portée par le commerce et la circulation des marchandises) pour l’empire après les conquêtes. Et étonnamment, il y avait une grande tolérance religieuse avec toutes les religions qui cohabitaient : islam, nestorianisme (christianisme nestorien), bouddhisme, chamanisme des origines pour les mongoles. Ils étaient aussi très forts pour intégrer toutes les armes qui se rencontraient sur leur chemin, et ont rapidement fait leur l’usage de la « poudre noire » pour utiliser des bombes et des grenades.
Scientifiquement aussi c’est assez drôle de découvrir l’apport des mongoles, et leur politique pour arranger les échanges entre savants. En réalité, tout ce qui pouvait être bon pour le business était facilité. Mais c’est marrant de voir cette vision globalisée du monde en plein Moyen-Âge. Je n’avais jamais entendu parler avant de Guillaume de Rubrouck qui a eu moins de succès que Marco Polo (il était avant en 1253-1254), mais qui a lui aussi écrit des trucs incroyables pour raconter l’Empire Mongol à ses contemporains. Et il y a cette histoire très intrigante de Guillaume Boucher (dont je ne trouve que la page Wikipédia en anglais étonnamment) qui a justement rencontrer le précédent.
Au lendemain de leur arrivée, Guillaume et ses compagnons sont accueillis par une Lorraine de Metz, nommée Pasha ou Paquette, enlevée en Hongrie et déportée jusqu’à Karakorum, qui est au service d’une dame mongole chrétienne. Paquette est mariée à un Russe qui exerce le métier de constructeur de maisons, de qui elle a eu trois enfants. Paquette leur parle d’un orfèvre nommé Guillaume Boucher dont le père, Roger, tenait boutique à Paris sur le pont au Change. Alors qu’il se trouvait à Belgrade, au service d’un évêque normand, les Mongols, qui ont massacré les populations mais en épargnant les artisans spécialisés, l’avaient fait prisonnier. Une fois arrivé à Karakorum, Möngke l’avait donné à son frère cadet, au service duquel il demeure. Informé des talents de l’orfèvre par son frère, le Khan commande à maître Guillaume un grand arbre à boisson en argent distribuant du vin, du koumis et de l’hydromel. Sur recommandation de Paquette, Guillaume de Rubrouck utilise les services du fils de l’orfèvre pour pallier l’incompétence de son interprète. Lors de son départ, l’orfèvre remet à frère Guillaume une croix ouvragée à remettre au roi de France, son ancien souverain.
Page Wikipédia de Guillaume de Rubrouck
Encore un peu de temps pour y aller, et il y a un monde fou, mais ça vaut vraiment le coup !!
Merci, Matoo.
Grâce à toi (et à Wikipedia ), je me coucherai ce soir moins ignorant.
Ce qui me frappe dans ce que tu rapportes, c’est combien l’européanocentrisme nous a aveuglés pendant des siècles pour avoir un a priori négatif sur les peuples « barbares ».
Heureusement que, progressivement, on en sort.
Oui exactement. Mais ce n’est pas tant non plus pour avoir une vue angélique ou un panégyrique de cet épisode de l’histoire, ça fait juste du bien d’avoir un regard équilibré qui nous sort des classiques visions réductrices et manichéennes.
Ah oui, cette expo était annoncée cet été. Il faut vraiment que je retourne à Nantes…
Lorsque j’ai commencé à travailler là où j’enseigne toujours, on m’a demandé d’enseigner un cours d’histoire du monde qui commençait justement avec l’Empire mongol. C’était la première fois que j’étais exposé à une vision globalisante de l’Eurasie comme réalité géopolitique plutôt que de concentrer le regard exclusivement sur l’Europe médiévale. Cela m’a grandement ouvert les yeux.
Et oui… on apprend souvent davantage en ayant à enseigner ce à quoi on n’a jamais été exposé qu’autre chose!
J’ai depuis lu et appris qu’il y avait eu toute une histoire à propos de cette exposition, et notamment une pression dingue de la Chine pour revoir tout ou partie des cartels, c’est dingue !!! J’avais aussi à la base en tête uniquement Marco Polo et les menaces d’envahissement de l’Europe, donc ça fait du bien en effet de changer de perspectives. Je me rappelle aussi avoir été super intéressé par les croisades vues par les arabes, encore une autre manière de voir les choses.