Je ne sais pas si beaucoup de français connaissent Étienne Dinet (1861-1929), moi je l’ai découvert lors de cette exposition, mais apparemment il est éminemment connu en Algérie, et est étonnamment réputé et apprécié pour un peintre français orientaliste. Mais quand on sait qu’il était absolument amoureux de l’Algérie, qu’il s’est converti à l’Islam et qu’il a souhaité être enterré là-bas, on comprend sans doute mieux ce curieux pont entre nos deux pays. Et de ce que j’en ai lu, il a lutté toute sa vie durant non pas contre la colonisation, mais pour une prise en compte plus égalitaire et fraternelle des algériens dans la France de son époque.
Et il est également positivement considéré par son œuvre car tout en étant un orientaliste, il n’a pas concentré ses thèmes et ses peintures sur des aspects outrageusement exotiques des populations locales. On a au contraire une peinture très naturaliste et réaliste qui cherche à capturer l’essence des algériens qu’il a connu, rencontré et vécu avec. Et vraiment j’ai pu constater cela avec plaisir lors de l’exposition, un peu comme cette première image dépeignant un conteur (meddah aveugle) qui charme ses auditeurs par son récit (1922).
Je dois aussi avouer un sentiment tout personnel car Étienne Dinet a porté son dévolu sur une région qui m’est chère. Il s’installe en effet à Bou Saâda qui est une oasis aux portes du désert, et il est enterré là-bas. Or c’est à 100km d’où mon grand-père est né et a vécu, et l’exposition a aussi été pour moi une de ces occasion qui nourrit mon imaginaire. Plusieurs tableaux dépeignent cette région des Zibans, et notamment Biskra, qui est donc aussi ma région d’origine (1/4 de mon merveilleux patrimoine génétique donc), aujourd’hui surtout connu pour l’excellence de ses dattes, et j’ai adoré avoir une vision de ces paysages, ces visages et des ambiances qui correspondent exactement à la jeunesse de mon grand-père (1905 à 1928) avant son arrivée en métropole.
Et il y a ces visages qui m’ont tant plu, car je retrouve vraiment les traits de mon grand-père et de ses sœurs, les mêmes tatouages sur le visage, et même certaines typologies dans les gestes ou les vêtements. C’était très émouvant et touchant de voir cela.
J’ai beaucoup aimé ses dessins qui capturent les visages très finement et avec une troublante beauté.
Et il y a ce très beau tableau de Dinet qui est son plus connu en Algérie. Il y a beaucoup de peintures qui montrent des relations intimes entre hommes et femmes, ce qui peut apparaître comme troublant en comparaison de la situation actuelle, beaucoup plus puritaine et pour laquelle la mixité a énormément reculé. On a aussi des peintures qui clairement représentent des prostituées et qui figurent des quartiers « chauds » de l’époque.
Le style a un peu vieilli, et ce n’est pas spécialement ma tasse de thé, mais c’est vraiment plaisant de trouver une peinture de l’Algérie avec autant d’allégresse, de couleurs chatoyantes dans les habits et les accessoires, d’une vie quotidienne bouillonnante où se croisent les hommes, les femmes et les enfants. Il montre aussi régulièrement des situations plus religieuses, mais avec encore beaucoup de beauté, de sérénité et de mixité.
L’exposition est une magnifique rétrospective de l’artiste, avec également des éléments de son œuvre plus éditoriale (livres, affiches, illustrations), et qui donnent encore plus à voir et apprécier ce sud algérien de mon grand-père, si mystérieux et intrigant pour moi (et pas qu’exotique je vous rassure).