Cela n’a pas dû être facile pour Gilles Leroy de se remettre au boulot après un prix Goncourt. C’était marrant parce que je le suivais déjà depuis quelques années (depuis Grandir en 2005), mais depuis Zelda (le titre est Alabama Song mais il est cocasse de constater que tous ses lecteurs l’appellent aujourd’hui « Zelda », et que c’était le titre d’origine qui était voulu par Gilles Leroy), j’en ai entendu parler par beaucoup de gens (dont ma mère !!). J’avais beaucoup aimé Alabama Song pour son histoire mais aussi pour son écriture résolument américaine, même si ce n’était pas mon préféré de l’auteur.
« Zola Jackson » me réconcilie totalement avec ce que j’aime de Gilles Leroy, car le roman est tout aussi « américain » mais il renoue avec les thématiques et les sujets fétiches de l’auteur (évidemment dans le cadre d’une bio il est beaucoup moins libre que là). Il incarne de nouveau une femme, il le fait avec grand talent, et il nous fait partager ses pensées pendant tout le bouquin. Zola Jackson est une femme noire de la Nouvelle-Orléans. Elle habite un des quartiers les plus populaires, et elle fait partie des gens qui sont restés durant l’ouragan Katrina (qui a notamment inondé et dévasté tout ce quartier). Alors qu’elle tente de survivre dans la tourmente, et frôle la mort à maintes reprises, elle repense à sa vie, et par flash-backs elle explore son passé.
Le livre égraine chapitre après chapitre l’arrivée et la catastrophe de Katrina, mais les épisodes du passé ne sont pas vraiment chronologiques, ce sont des réminiscences de la narratrice quant à son fils, Caryl, le petit ami de ce dernier, Troy, ou son mari Aaron. Elle est accompagnée de sa chienne Lady qui tient un rôle très important dans le livre, et dans la vie de Zola Jackson.
Ce qui m’a le plus étonné c’est de me retrouver si rapidement happé dans le bouquin, alors qu’en fait l’auteur ne raconte rien de profondément original. C’est plus une somme de petits riens qui nous rapprochent de plus en plus de Zola Jackson, nous font comprendre sa vie de femme noire de la Nouvelle-Orléans, avec ses valeurs, ses vicissitudes et son caractère haut en couleur. Et de ces minces aperçus de son passé, s’élabore un personnage absolument passionnant, émouvant et fascinant. En plus d’un style à la fois simple et très riche, dont Gilles Leroy a vraiment le talentueux secret, et du rythme syncopé des bayous, j’ai dévoré le roman qui à maintes reprises m’a fait penser à un de mes livres fétiches : « De chair et de sang » de Michael Cunningham.
On y retrouve ces parcours banals en apparence mais qui recouvrent des non-dits et des imbroglios familiaux bien complexes et apporteurs de bien des turpitudes existentielles. Avant tout, il y a l’amour démesuré et total d’une mère pour son fils, et la relation difficile mais attendrissante de Zola avec le petit-ami de son fils Troy, antithèse sociale et raciale du monde de Zola (un intellectuel blanc et rouquin à lunettes). Mais on apprend que le père de Caryl était un blanc (roux aussi…) et les sentiments contradictoires de Zola Jackson envers son fils ou son mari, sa considération pour l’éducation etc. Toutes ces imprécations psychologiques ne sont pas anodines mais sont les clefs qui permettent de rentrer un peu plus dans cet univers d’amour, de haine, de peur et de frustration mêlé.
Il y a donc ces plongées dans le passé de Zola qui sont des parenthèses dans la narration plus linéaire qui décrit Katrina et ses ravages. Gilles Leroy fait très fort en décrivant avec une certaine économie de mots, mais une impressionnante précision, les différentes étapes pour Zola… L’inondation, le refuge dans les étages supérieurs jusqu’au grenier, la chaleur suffocante, les alligators qui rodent, le vent, la pluie et les hélicoptères qui n’arrivent pas. Finalement le seul personnage qui est à la fois dans les souvenirs et la réalité, c’est Lady, la chienne de Zola. La relation entre l’animal et sa maîtresse est très forte et remarquablement illustrée, j’y pressens beaucoup des rapports de l’écrivain avec son propre animal. Il en fait quelque-chose de très beau, jamais ridicule ou insensé, mais bien au contraire une saine évidence.
J’avais été assez frustré par le fait que Zelda était trop court, et qu’on aurait voulu passer plus de temps avec. C’est encore avec « Zola Jackson » un roman assez court, mais l’histoire est tellement bien cadrée et dosée que je n’ai pas vécu de frustration à la fin. C’était une aventure intense, tant dans le voyage intérieur des souvenirs de Zola, que dans sa lutte pour sa survie bien prosaïque, et cette fin arrive aussi comme un message d’apaisement. La conclusion est un peu happy-end, mais elle m’a fait du bien, elle m’a soulagé, et j’ai aimé que ces personnages se retrouvent ainsi. Ils ont assez souffert, il est temps de trouver un peu de sérénité…
Zelda a eu le prix Goncourt, mais Zola Jackson est pour moi un prolongement « logique » du précédent en ce qu’il en exploite le même talent pour l’introspection féminine, et la double narration intérieure/extérieure. Mais ce roman-ci va plus loin dans la quête de soi, il propose une histoire qui m’a plus touché, et dont la verve romanesque tout GillesLeroyesque a le chic pour faire mouche (me concernant évidemment). En tout cas, la thématique « sud des USA » fonctionne diablement bien, je me demande d’ailleurs si ces bouquins seront traduits en langue anglaise et s’ils pourraient trouver lecteurs outre-atlantique…
Bonjour matoo, et merci pour cette belle chronique.
La mienne n’en était qu’à l’état de brouillon, je vais l’abandonner et ferai quelque chose de différent, comme raconter que : il y a deux-trois semaines, j’étais avec quelques « blogueuses littéraires » – ce que je ne suis pas – et nous rencontrions Gilles Leroy à propos de Zola Jackson.
Etant de loin la doyenne du groupe, les filles m’ont laissé l’honneur de poser la première question :
– Cela n’a pas dû être facile de vous remettre au boulot après un prix Goncourt… ;)
GL très serein, très terrien, nous a (presque) convaincues que le prix n’avait pas changé grand-chose à sa routine d’écrivain.
Tout juste perturbé sa vie quotidienne provinciale à cause des rendez-vous presse et médias en plus, déplacements, signatures, etc. Mais rien à voir avec l’agenda d’une Miss France !
Il avait depuis le début de sa carrière d’écrivain, il y a 20 ans, l’envie d’écrire sur la douleur d’une mère qui perd son enfant. Il avait commencé à travailler sur Hécube, qui en perdit 9 !
Je ne suis pas encore une groupie d’écrivains blasée… j’ai été vraiment séduite (!) par la douceur, le calme, l’écoute de ce grand et bel homme gentiment amusé de se trouver au milieu d’un aéropage de nénettes assez peu concentrées, mais joyeuses et sincères.
Matoo, je te souhaite de rencontrer Gilles Leroy, au prochain salon du livre peut-être ?
Ta chronique et celle de ton chérichou (assez complémentaires) me donnent envie… Et puis moi je suis toujours ridicule (limite pathétique!) quand je parle de ma relation avec mon titi alors j’ai hâte de découvrir la relation entre Zola et son chien;)
:pompom: