MatooBlog

Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Le livre des jours

J’ai découvert Michael Cunningham avant « Les Heures » et sa consécration, et son roman « De chair et de sang », lu il y a quelques années, reste pour moi une oeuvre majeure qui continue à produire un extraordinaire effet sur moi. Je suis content qu’il continue à écrire, et à si bien écrire, à créer des romans à la veine aussi originale et peu conformiste. Et surtout, quel bonheur de constater qu’il n’a pas sombré dans la facilité hollywoodienne ou dans l’écriture industrielle d’un roman-scénario à blockbusteriser.

On retrouve au contraire toutes les qualités de Cunningham avec un style et une écriture extrêmement riches et soutenus, des intrigues passionnantes et empreintes de mystères, des personnages attachants et un savant dosage entre actions et sentiments (à l’américaine tout de même). Et ce bouquin là est notable par son souffle poétique singulier, avec Walt Whitman qui hante chacune des pages. « Les Heures » figuraient trois destinées de trois femmes à trois époques, avec des histoires qui se répondaient les unes aux autres. Il s’agit là aussi d’un triptyque mais d’un genre différent. On a là trois romans en un. Trois intrigues distinctes, mais aussi trois genres de roman (historicosocial, policier et SF), liées par des éléments de lieu, de temps, des objets, des prénoms et Walt Whitman ! New York, une boite à musique ou un bol en porcelaine, Simon, Catherine, Lucas, le 21 juin et l’empreinte de Whitman sont les signes redondants qui relient les récits.

Le premier roman se passe en pleine révolution industrielle à Manhattan, on y trouve un récit poignant aux relents dickensiens d’un jeune garçon (de douze ans), Lucas, qui doit faire vivre sa famille en prenant un travail à l’usine. Son frère Simon est mort quelques temps avant dans un accident à la même machine, où il est employé pour le remplacer. Lucas est un petit garçon étrange qui a une fascination pour le poète Walt Whitman (qui est donc vivant à l’époque), dont il connaît l’oeuvre par coeur, et qu’il cite fréquemment sans maîtriser son débit de parole.

Le second se passe aujourd’hui, en période post « 11 septembre » avec une flic-psychologue, Cat qui reçoit un appel d’un enfant qui lui récite des vers de Whitman en expliquant qu’il va tuer quelqu’un. Elle ne le prend pas au sérieux, mais tout se précipite lorsque l’attentat à lieu (l’enfant portait une bombe), et qu’un autre enfant, se disant le frère de l’autre, rappelle Cat en lui expliquant qu’un prochain crime aura lieu.

La dernière partie du roman se passe aussi à New York mais dans le futur. Un futur où une race extraterrestre (les nadiens, qui sont des sortes de lézards à la « V ») cohabite avec des humains, des mutants et des cyborgs. Ces derniers font penser aux robots humanoïdes de « Blade Runner » en quête d’une âme. L’un deux, Simon, qui travaille dans un Manhattan fliqué qui est devenu un gigantesque parc d’attraction, fait la rencontre d’une nadienne, Catareen qui est garde d’enfants. Simon est aussi possédé par les poèmes de Walt Whitman, et sent qu’il doit partir à la recherche de son créateur. Ils s’échappent de New York avec Catareen, et tentent de rejoindre Denver…

Les liens entre les histoires sont explicites, et on les repère rapidement, mais jusqu’au bout l’explication de tout cela reste obscur. Il n’en reste pas moins que les trois récits sont excellents, très bien écrits et fascinants, et qu’on est pris dans ce tourbillon où Whitman règne en maître. L’auteur donne aussi une vraie importance au poète pour New York et les USA. L’oeuvre de Whitman, qui hante ces pages, me fait penser à Keats pour « Hypérion ». On retrouve une poésie qui transcende la simple littérature pour devenir fondation d’une civilisation, et repère immuable à travers les temps, les personnes et les situations.

Je m’avoue bien ignorant de ce grand poète américain (que je connais tout juste de nom, et de Wikipédia), et j’imagine que cela doit aider d’en connaître un peu plus pour apprécier le bouquin. Malgré tout, c’est brillant et Michael Cunningham livre là un roman fort, dense et passionnant.

Le livre des jours - Michael Cunningham

  • J’avais dévoré La maison du bout du monde et pleuré comme une ado pré pubère en regardant the hours.
    Du hoolywood comme ça leur arrive parfois de faire : efficace et et intelligent!
    Je sens que je vais courrir acheter celui-là

  • J’ai eu la chance de l’avoir pour mon anniversaire mais je n’ai pas encore eu le temps de l’entamer. Matoo, pourquoi as-tu toujours une longueur d’avance sur moi ??:mur: En tous cas, ton post me donne envie de l’attaquer ce soir-même ;-)

  • Leaves of Grass serait une saine lecture pour accompagner utilement celle de Michael Cunningham. Tout au moins la première version (1855), moins volumineuse, plus accessible.

  • Toi qui es fan de Cunningham .. sais-tu qu’il dédicaçait ses livres aux Mots à la Bouche le 27 avril dernier ? moi j’en ai lu deux, mais pas encore ce livre des jours ..

  • Moolloo> Fucking hell ! Nan je savais pas… :shock:
    Sinon j’y serais allé, j’avais déjà vu Armistead Maupin et Stephen McCauley pour des dédicaces là-bas !

  • Tiens, je voulais l’offrir à ma maman pour la fête des mères, mais je ne l’ai pas trouvé, alors je me suis rabattu sur le dernier Ishiguro. Ma mère a dit que c’était tant mieux parce qu’elle n’aime pas du tout la SF, et je me suis rendu compte après coup que le dernier Ishiguro est aussi SF-isant. :roll:

  • Drôle de bouquin (malheureusement pas trop bien traduit, d’où l’intérêt de le relire si possible en anglais, surtout que Whitman en anglais, ça le fait plus)…la fin de la 2ème partie m’a scotché, et je trouve la 3ème plutôt réussie pour ce qui n’aurait pu être qu’un exercice de style. Enfin, ça se dévore, comme d’hab…

  • Je reconnais que comme d’habitude chez Cunningham c’est très bien écrit, et même moi qui ne suis pas fana de sci-fi j’ai apprécié le troisième récit tout autant que les deux précédents. Toutefois, je n’ai pu m’empêcher d’avoir un sentiment de « déjà » vu. Les similitudes entre Les Heures (3 récits à 3 époques différentes avec Virginia Woolf en fil rouge) et Le livre des Jours (3 récits à 3 époques différentes avec Walt Whitman en fil rouge) ne vous a pas gêné ? Est-ce que ça nous annonce un prochain roman intitulé genre « L’encyclopédie des années », avec 3 récits à 3 époques différentes avec Truman Capote en fil rouge ? Ce matin sur i:télé, le journaliste demandait d’un air faussement naïf à Mary Higgins Clarck (dont je n’apprécie pas particulièrement les livres)pourquoi tous ses romans se déroulent sur le même schéma, dans les mêmes milieux sociaux, etc etc. et si elle n’aurait pas un jour envie d’avoir une ado des banlieues comme heroïne. Le plus naturellement du monde (et le plus sincèrement, aussi j’en ai bien peur), elle a répondu qu’elle ne voyait pas pourquoi elle changerait de « recette » puisque la sienne marchait et se vendait à des millions d’exemplaires !!! Je suis d’accord, Cunnigham et Higgins Clark ne nagent pas dans le même bain, mais j’espère qu’il ne va pas suivre la même stratégie qu’elle

  • cémoi> C’est marrant que tu dises cela, j’avais évoqué tout ça dans ma critique mais c’était tellement long que j’ai raccourci !! Car moi aussi j’ai eu un peu peur pour la redondance de la structure, et puis aussi qu’il devienne incontournable à la Auster ou Irving, et donc moins bon avec les années et les ouvrages. C’est forcément le risque.

    Mais ça passe encore pour cette fois non ? En tout cas clairement, le prochain devra se démarquer de ce formalisme, sinon ça craindra vraiment…

  • Pas d’accord!
    J’avais adoré the Hours, j’avais dévoré De chair et de sang et La maison du bout du monde, mais là je dois dire que j’ai été déçu. Trois fois déçu pourrait-on dire, comme si Cunningham n’avait plus assez de souffle pour écrire un « vrai » roman, et nous livrait 3 novelettes /exercices de style avec des « traits d’union » entre pour dire que ça fait un « vrai » roman »…
    La première partie est « propre sur elle »…
    D’accord avec Ze f., la fin de la deuxième partie est le seul moment ou j’ai vraiment retrouvé le Cunningham que j’aimais (celui qui était capable de me faire pleurer avec une femme qui prépare un gâteau d’anniversaire!)
    Je trouve la 3ème partie spécialement décevante, elle m’a fait penser aux « Anticipation Fleuve Noir » que je lisais quand j’étais gamin, un petit côté kitsch et rétro, un comble pour de l’anticipation!
    Dommage, dommage, je vais me relire The Hours tiens!

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