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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

« The Normal Heart » de Larry Kramer au Théâtre du Rond-point

La pièce originale de Larry Kramer date de 1985, et c’est la première fois qu’elle est produite en France et donc adaptée en français. Larry Kramer est un activiste très célèbre pour avoir créé ACT-UP à New York en 1987, mais aussi le Gay Men’s Health Crisis au tout début de l’épidémie en 1982. Cette pièce raconte très précisément comment il a cofondé cette première association, mais surtout comment il a vécu cette toute première émergence du VIH et ses premières victimes complètement ignorées de la société civile. On y ressent aussi le contraste terrible entre une libération sexuelle galopante et assez réjouissante, avec des jeunes gens qui d’une poignée deviennent des milliers à mourir dans des conditions effroyables.

Il y avait un énorme défi à réaliser une telle adaptation, et ce texte est tellement important que c’est une très bonne chose. Il existe déjà pas mal d’œuvres qui gravitent autour de ce sujet, et celle qui m’est le plus venue à l’esprit est Angels in America, d’autant plus que son entrée au Français est récente et m’a vraiment beaucoup plu. J’ai pensé aussi à Love! Valour! Compassion! ou d’autres œuvres qui évoquent des périodes un peu plus tardives comme Jeffrey, ou même notre contemporain 120 BPM. Il y a aussi forcément le tout récent It’s a Sin qui est en tête avec une époque et situation similaire mais à Londres. Et bien sûr, je n’ignore pas l’adaptation de 2014 par Ryan Murphy, mais que je n’avais pas vu. Je l’ai regardé seulement aujourd’hui pour éviter cette comparaison pendant que je profitais du spectacle vivant au Rond-Point.

Là où Angels in America est une œuvre très surréaliste et avec une veine artistique très prononcée, on est avec « The Normal Heart » dans un récit beaucoup plus conventionnel et narratif, avec une histoire centrée sur son protagoniste principal Ned Weeks (qui n’est autre que Larry Kramer) joué là par un excellent Dimitri Storoge. Je suis d’ailleurs plutôt laudateur sur le casting avec des personnages vraiment bien campés par les comédiens Michaël Abiteboul, Andy Gillet, Brice Michelini, Jules Pélissier, et également la comédienne Déborah Grall. Dimitri Storoge a le charisme et la présence sur scène pour bien rendre le côté solaire et ultra-grande-gueule de Ned Weeks/Larry Kramer et son talent fait pour beaucoup dans la tenue globale de la pièce.

La pièce démarre en 1981, avec l’auteur Ned Weeks qui se pose des questions quant à cette maladie, ce « cancer », qui ne toucherait que des homosexuels, et qui frappe justement certains de ses proches. Il se rapproche d’une docteure new-yorkaise, Emma Brookner, qui s’occupe de ces malades et qui suspecte une MST. Elle voit de plus en plus de jeunes gays venir en consultation, et les voir rapidement mourir aussi. Elle conseille à Ned de se secouer et d’informer largement la communauté avec pour le moment la seule solution selon elle : « arrêter le sexe ». Ned prend conscience de la gravité de la situation et on le suit, année après année (en réalité la pièce se termine vers 1983 lorsque Ned/Larry Kramer est viré de GMHC) dans sa lutte pour la reconnaissance de l’épidémie, mais aussi la prise de conscience et l’action des pouvoirs publics. Ned et quelques proches fondent et lancent cette première association, mais la pièce évoque aussi la vie personnelle de ces personnages.

Il y a notamment Bruce Niles (Andy Gillet) qui est le beau gosse, VP d’une grande banque, et évidemment totalement planqué et assez veule, mais dont on comprend malgré tout les hésitations et la « raison », tout en étant déchiré par la mort de ses proches, effrayé par la maladie (celle qu’il porte, qu’il transmet ?) et terrorisé par la perte de son statut social. Tommy Boatwright (Brice Michelini) est la cheville ouvrière de l’association qui comprend les deux potes diamétralement opposés, et ne choisit pas vraiment de camp. Mais derrière l’humour et les réparties queer, on voit aussi qu’il est celui qui voit mourir les malades et les accompagne au mieux, et prend sur lui toute cette injustice, cette douleur ineffable et ce manque d’espoir insupportable. Enfin, Felix Turner (Jules Pélissier) est un jeune et beau journaliste « facheune » que Ned approche pour lui faire écrire un article à propos de cette épidémie, mais qui devient son amant et l’amour de sa vie. Leur histoire est évidemment très touchante, et un des points d’orgue de la pièce.

Donc vous aurez compris, j’aime beaucoup l’histoire, et je trouve que l’adaptation est vraiment formidable. Cela fonctionne très très bien en français, et on a une pièce à la narration solide, intrigante et profonde. En revanche, je n’ai pas été fan de la mise en scène. J’ai trouvé le tout un peu aride et dépouillé, et une direction d’acteur assez monolithique et « sombre ». Le côté positif c’est que le texte est bien mis en valeur, et que les répliques claquent avec un certain panache dramatique. Néanmoins, il y a un côté plombant qui pèse un peu trop au bout de deux heures, et un petit manque selon moi de nuances dans les échanges. Dimitri Storoge est très bien, mais un peu avec des accès de colère qui passe 0 à 100 en 2 secondes. J’ai aussi trouvé dommage de ne pas être plus embarqué dans le contexte des années 80 avec de la musique ou avec des vidéos qui auraient évoqué aussi cette libération sexuelle. Car on était vraiment dans ce contraste : des mecs s’envoyaient en l’air, et d’autres étaient en train de se traîner amaigris et plein de lésions de Kaposi sur le corps. Même à certains moments de la pièce où on est transporté d’un décor à l’autre, une ambiance sonore ou lumineuse plus marquée aurait aidée je pense à la compréhension et la contextualisation.

Un petit bémol pour une très belle pièce, et qui ne laisse certainement pas indemne. Cela fait quarante ans que c’est arrivé, et il est important de continuer à raconter ce qui s’est passé et comment. Car l’influence de l’épidémie sur les mouvements LGBT et queer est extraordinaire, et tout a commencé par des pédés qui mourraient par centaines et tout le monde qui s’en branlait car ce n’était que des pédés, des putes et des toxicos… On oublie trop facilement cela, et il ne faut pas. En cela, et pour son témoignage exceptionnel, cette pièce est une œuvre majeure qui méritait son adaptation dans un si beau théâtre parisien.

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