J’avais un peu commencé à l’envers avec Renaud Camus en lisant d’abord le « Lac de Caresse » avant ce monument de la littérature gay qu’est « Tricks ». Et pourtant lorsqu’on connaît le type d’écrivain qu’est Renaud Camus, on perçoit ensuite « Tricks » comme le genre d’oeuvre embarrassante, le genre de chose qui rend extrêmement célèbre et qui vous case dans une catégorie qui n’est pas forcément la plus idoine. Or Renaud Camus est un brillant écrivain, mais rédiger en 1978 une cinquantaine de textes qui sont des récits circonstanciés de plans cul dans des backrooms nécessitait bien une préface de Roland Barthes. Et ce dernier le martèle : « Renaud Camus est un écrivain, que son texte relève de la littérature, qu’il ne peut le dire lui-même et qu’il faut donc que quelqu’un le dise à sa place ».
Je comprends qu’à l’époque ce truc a du vraiment choquer, et être considéré comme de la pornographie. Donc les divers préfaces ou notes liminaires devaient affirmer la valeur littéraire intrinsèque d’un tel ouvrage, ce n’était ni de la pornographie, ni des récits érotiques, ni sociologiques ou romanesque. Il s’agit d’une suite de textes qui racontent le plus froidement et chirurgicalement possible des rapports sexuels fugaces entre hommes, et rédigés selon les souvenirs, parfois parcellaires, de l’auteur.
Je lis donc cela presque trente ans après, et surtout après la véritable émancipation des gays, après le SIDA et après Dustan et ses coreligionnaires. Donc ma première réaction quand j’ai commencé à lire ce bouquin fut de ricaner aux avertissements. C’est bien du cul dont ça parle, et de manière bien crue, mais tout va bien, ce n’est pas comme si j’étais une oie blanche. Donc aujourd’hui, on peut affirmer que ces récits ont une puissance sexuelle assez extraordinaire, et qu’ils ont une certaine portée sociologique pour qui s’intéresse aux pratiques des gays de l’époque. Evidemment, Renaud Camus évoque ses propres expériences, mais ne réduit pas sa vie à cela. Au contraire, il ne raconte que sa collection de « Tricks », et élude sciemment les relations amoureuses qu’il a pu avoir dans la même période. Ce qui l’intéresse c’est cela et rien d’autre. J’ai eu l’impression qu’il tentait quelque chose, qu’il menait une expérience, celle d’écrire ce qui ne s’écrivait pas alors et de constater ce qui restait vraiment de ces petits moments de plaisirs éphémères piochés dans ces lieux de débauche. Je me demande s’il avait alors une volonté militante, un vrai désir de montrer la réalité (d’une partie) des relations homosexuelles de l’époque.
J’ai d’abord pensé à Dustan, puisque ce dernier a aussi donné dans la description banale de ses actes sexuels. Mais clairement, l’objectif n’est pas le même, et le contexte fait énormément la différence, même si j’avais lu dans Dustan cette même volonté de s’exposer et de raconter sa réalité sans tabou, ni fioriture. Camus est dans une dimension parallèle lorsqu’il rédige et vit ses « Tricks », un autre monde où le SIDA n’existe pas et les préservatifs sont plus qu’accessoires (mais où tout le monde devait se refiler allègrement sa MST). Un monde où les homos sont encore plus communautarisés et ghettoïsés finalement puisqu’ils n’ont pas vraiment le choix, et que leur sexualité complètement cachée du commun des mortels leur autorise tous les excès et l’hédonisme de leur choix. Or il est bien connu que l’homme est un être gourmand.
Ces récits montrent bien combien un homo de l’époque pouvait avoir de partenaires et de relations sexuelles. Enorme ! On voit là sur une période très courte, comment l’auteur rencontre et couche avec des dizaines et des dizaines de mecs, ce qui aujourd’hui est encore légion pour certains, mais manifestement moins qu’à cette époque.
Je ne vais pas m’appesantir sur les récits en eux-mêmes car ils sont un peu répétitifs et le scripte est assez redondant. On retiendra rapidement que Camus aime les bruns virils et poilus, bien foutus et versatiles, et que ces récits sont assez excitants évidemment (merci la lecture dans le métro…) mais vraiment pas faits pour cela (simple dégât collatéral). J’ai seulement retenu que je me sentais beaucoup plus proches de ses pratiques que de celles que j’ai pu lire dans les Dustan & Co. Camus est plus simple, naturel, bienveillant et cool en fait. Mais justement au bout de quelques histoires, on se met à guetter le changement, ou bien la petite inflexion qui en dit d’avantage, où l’auteur égare une miette supplémentaire qui en dit un peu plus sur lui-même.
Ce qui m’a beaucoup intéressé et amusé, c’est aussi le fait que l’écrivain ait revu sa copie lors des différentes rééditions (1978, 1982 et 1988), et qu’il ait alors mis à jour certaines informations. A la fin de chaque trick par exemple, il précise s’il a revu la personne ou pas. On peut alors découvrir que certaines personnes n’ont jamais été revues, ah si finalement revues en 1982 mais pas recouché avec, ah si finalement revues entre 82 et 1988 et recouché avec !! Ou même que certaines connaissances amicales s’étant reconnues dans le livre, ne lui adressent plus la parole. Ou aussi certains tricks qui ont repris contact (dans tous les sens du terme) suite à la publication du roman etc. Et au fur et à mesure des histoires, j’ai l’impression qu’il livre de plus en plus de ces petites impressions et remarques qui ébauchent un peu plus sa personnalité. En plus de ces notes sur les tricks, on a aussi des sortes de didascalies de rédaction qui indiquent quand les récits ont été écrits, où et plus ou moins dans quelles circonstances, ce qui donne lieu à de très intéressants commentaires de l’auteur lui-même (faisant souvent preuve d’ironie ou de dérision).
Ce sont ces minimes variations dans cet enchaînement de textes qui m’ont plu, comme cette infime modification dans le motif musical d’un Glass ou d’un Reich qui retient l’attention et qui donne un plaisir dingue. J’ai apprécié aussi cette plongée dans la sexualité d’un pédé qui avait mon âge en 1978, et évidemment l’identification est immédiate et extrêmement stimulante (intellectuellement ?). Et si j’aime aussi une chose chez Renaud Camus, c’est bien ce mélange, incongru pour tout un chacun, entre un intellectuel, lettré à outrance que j’imagine aujourd’hui comme un homme plutôt bourge et respectueux, et un homo qui a assumé de placer ses relations sexuelles dans un bouquin et tout ce qu’elles ont pu provoquer de négatif dans son image par la suite. Mais bon, il n’avait peut-être pas imaginé leur impact. J’écris tout cela alors que je ne connais rien de ce mec, et donc je suis peut-être complètement dans le faux. Mais comme d’habitude, je livre le fruit de mon ressenti immédiat quelques trente minutes après avoir fermé le bouquin.
oui mais Roland bathes, c’est un critique littéraire donc voilà….. je vais pas faire ca biographie car je les mangais toute l’année.
lire aussi son tour de France des lieux de dragues et
vespasiennes… j’ai zappé le titre, le demander à un vendeur de la Fnac, mimi de préférence :censure:
Le titre, c’est « Journal d’un voyage en France ».
Je ne sais pas s’il existe une réponse à « Je me demande s’il avait alors une volonté militante, un vrai désir de montrer la réalité (d’une partie) des relations homosexuelles de l’époque. », mais on trouve qq explications ça et là dans « Chroniques achriennes » et « Notes achriennes », qui sont les textes de chroniques tenues pour Gay Pied.
En tout cas, il y avait déjà un conflit à l’époque entre ceux qui auraient voulu une homosexualité « respectable » et ceux qui voulaient vivre sans qu’on leur dise comment ils devaient vivre. Voir ce texte: http://www.renaud-camus.org/articles/lire.php3?article=115
Aaaaaah Merci VS, exactementle genre de sources que je cherchais !
Dis donc, ca se vendrait pas mieux son bouquin s’il n’avait pas fait une faute au titre : Triques, ça s’écrit comme ça non ?
:boulet:
Ben… justement non, un « trick » c’est autre chose et Renaud Camus l’explique préalablement. Ce qui n’empêche pas la trique, nous sommes d’accord.
Matoo, je ne saurais trop te conseiller de poursuivre ta découverte avec les Journaux qu’il publie chaque année chez P.O.L. puis Fayard désormais. Je les ai découverts et dévorés en 3 ans. On approche bien mieux – et on comprend ! – la réalité étonnante de ce personnage hors du commun, fils de famille sans le sou, vivant dans un château, adepte des saunas et passionné par la beauté.
Hello Matoo! Je rebondis sur ce post parce que tu ne sembles pas connaître les développements récents de la carrière de Renaud Camus (« un homme plutôt bourge et respectueux »). Il y a qqs années (je n’ose pas compter j’ai peur de voir que gt déjà dans le coup à ce moment), il y a eu un scandale à propos d’un passage dans son journal où il dénonçait le nombre excessif de juifs à France Culture, notamment à l’émission le Panorama. C’est comme ça que j’ai entendu parler de lui, comme d’une sorte d’écrivain d’extrême droite mais qui avait le mérite de ne pas pratiquer la langue de bois. Je n’aurais jamais imaginé qu’il était également l’écrivain de Tricks, ce que g découvert plus tard (mais je ne l’ai pas lu). C un personnage complexe apparemment.
L’Ombre de Dionysos de Michel Maffesoli
Cet essai, d’une lecture attrayante, peut servir d’introduction aux « Tricks » de Renaud Camus. L’orgie en est le sujet audacieux. De la débauche comme oeuvre d’art (avec notamment une remarquable analyse des Castrats) mais surtout comme élément déterminant d’une histoire sociologique.
Ce livre démonte avec clarté et érudition le processus du désir et du plaisir, leur nécessité, leur rôle et leur signification profonde. On y apprend que les chlystes (secte russe de flagellants : un peu les ancêtres des « cuirs ») s’opposaient au mariage : « On commence à danser nus, hommes et femmes confondus, on vit avec un « frère » ou une « soeur », le commerce sexuel est autorisé, au nom de l’amour divin ; seul le mariage est une faute exécrable ».
■ Editions Le Livre de Poche, 1991, ISBN : 2253055891, 640