Il n’y a pas longtemps je pensais que l’année prochaine : ça fera 30 ans que « Dans ma Chambre » de Guillaume Dustan est sorti. Et il y a peu de temps, Madjid a pondu un article sur Dustan. Cette synchronicité m’a fait sourire, et encore plus avec ce brûlot qui n’est pas exactement un panégyrique de l’écrivain. J’adore qu’il en parle avec des guillemets de ce Guillaume Dustan qui a été un fouteur de merde pas possible, qui a certes rué dans les brancards, et en a tiré une certaine gloire qu’il a également réussi à éclater par terre.
Et je suis d’accord avec ce qu’en dit Madjid, il y avait une certaine médiocrité chez Dustan et un truc bourgeois assez insupportable au fond. Mais surtout sa contribution directe au mouvement de « relapse » (relâche quant à la protection contre le VIH) pour une revendication du bareback (le fait de monter à cru soit baiser sans se protéger) qui était une affirmation très individuelle de la prise de risque a mis en difficulté tous les militants et militantes en lutte contre le SIDA. Et lui en tant que séropo voulait tout faire péter, en avait assez de porter cette honte de la maladie, et voulait que chacun prenne ses responsabilités, et lui aucune en l’occurrence.
Cela a conduit à une période assez sombre dans mon souvenir, avec une guerre fratricide assez violente entre « pro » et « contre », et des trucs assez fous comme des gamins qui demandaient à se faire plomber (contracter le VIH de manière volontaire et assumée) en fantasmant sur le don du VIH (les séropos étaient alors des donneurs valorisés pour leur cadeau). Il y a eu le développement de tout un imaginaire surréaliste autour de la maladie qui n’était plus mortelle grâce aux trithérapies, et qui, pour certains, était aussi un clan désirable, une sorte de culture gay ultime avec sa communauté, ses codes, son identité, une certaine liberté recouvrée (car rien ne pouvait arriver de pire), et une énième resucée en réalité du classique Eros et Thanatos.
Je pense aussi au roman de John Rechy qui m’a tant troublé, ou même à la mini-polémique d’il y a vingt ans1 qui avait vu un blogueur très « connu » se faire vilipender parce que soi-disant chantre du bareback (et ce n’était pas du tout le sujet). J’avais essayer d’apporter, avec mon expérience et sans doute mes humbles maladresses, mon propre éclairage à cette trouble période. Et la réalité c’était aussi ce relâchement général et cette lassitude qui nous engourdissaient tous. Et mettre un couvercle dessus, même avec le poids moral d’une prévention essoufflée le plus écrasant, ne suffit pas à retenir la pression qui croît irrémédiablement.
Et donc pour des personnes comme Madjid ou Lestrade, il a fallu lutter contre ce mouvement qui risquait la vie de bien des gens. Et ils ont bien fait je pense, le truc était trop grave et palpable. En revanche, cette parole si étrange et sulfureuse, même si l’imposture était manifeste, était là, et elle a marqué son temps. Oh c’était très léger et ça n’a pas duré. A peine de souvient-on d’un énergumène avec une perruque moche chez Ardisson, mais pour moi ce sont plutôt des romans troublant qui disaient des vies à la fois en résonnance avec moi, et parfaitement opposées.
Lorsque Dustan est mort, il était déjà complètement oublié. C’est dire si ça a été une apparition fugace et discrète, même s’il a imprimé une marque durable chez certains, et reste un horrible personnage pour beaucoup. C’est pourquoi c’était vraiment incroyable de voir une pièce (réussie) adaptée de son premier roman il y a cinq ans sur scène à Paris.
Je comprends qu’avec le recul de ces années, le personnage puisse avoir un côté inclassable, singulier et punk qui plaise, mais donc c’est bien d’avoir le son de cloche de Madjid qui est également très juste. Quant à moi, je ne peux pas choisir, je ne peux pas trancher. Je prends le connard et l’auteur, le queer et le bourgeois, l’émancipateur et le danger public comme un tout inaltérable, irréconciliable et paradoxal.
- Les réseaux sociaux c’était les blogs ! ↩︎

J’ai toujours fait un blocage sur le personnage. Peut-être aussi parce qu’à la même époque j’avais un ami séropo très proche qui partait dans des colères folles dès qu’il entendait parler en bien de Dustan. Mine de rien, ça conditionne un peu.
Et je crois que le truc qui m’agaçait le plus, c’est les médias et milieux un peu branchouilles qui le considéraient comme « la voix des séropos ». Dustan a vampirisé les médias en laissant peu de place à un autre discours. En tout cas, je l’ai ressenti comme tel.
Tout ça au final, pour sombrer dans l’oubli de son vivant… C’était bien la peine…
Je comprends tout à fait, et je souscris à tout ça. C’est vraiment l’ironie du sort.
Oh oui le sentiment de malaise, je ne l’ai jamais rencontré lui, mais quelques uns de ses thuriféraires qui me trouvaient si ringard à exiger la capote et parlaient avec cynisme de leurs rencontres… Dustan est oublié ou surtout méconnu aujourd’hui… mais la capote il faut encore et toujours, à chaque fois la réclamer (peu importe l’âge) alors… ;-(
J’ai aussi traversé ce truc en ayant plus peur d’eux que de l’attirance, donc chez moi ça a plutôt été un repoussoir ou au mieux une fascination morbide, mais chez d’autres ça a été le contraire, et ça en effet mis en porte à faux les militants. En revanche, tout n’est pas égal, surtout quand on voit que certains chantres de la capote ont freiné l’adoption de la PrEP. Donc il faut aussi sans doute toujours se remettre en question, et c’est très difficile pour tous ceux qui ont passé des années, et justement, à professer dans un sens.
En fait, cette obligation de « choisir » est un truc typique de notre époque désidéologisée. On va s’opposer sur des personnes mais on va pas véritablement discuter les enjeux.
Ainsi, je n’ai jamais « choisi » Didier Lestrade, j’ai comme d’autres écouté ses arguments et je les ai trouvés sensés. Et ça ne m’a pas empêché d’aimer les deux premiers romans de « Guillaume Dustan ».
En revanche j’ai toujours trouvé paradoxal qu’un écrivain se voulant totalement libéré écrive sous un pseudo. Il y a une contradiction fondamentale et une sorte de superficialité toute bourgeoise. C’est surtout cela que j’ai pointé.
Il n’en demeure pas moins que « Guillaume Dustan » appartient à notre histoire et qu’il en a marqué un moment important, celui où il fallait tourner une page. Il nous a invité à retrouver le sens de la fête et du plaisir. Et il fallait que quelqu’un le fasse. Dommage qu’il se soit en ce faisant piégé dans un personnage avant de redevenir un bourgeois en tweed, magistrat et donc gardien de l’ordre carcéral. Il aurait pu critiquer l’institution, il s’est contenté de la rejoindre, prouvant par là que sa liberté était une sorte de crise d’adolescence tardive et totalement vaine politiquement.
J’ai été sensible à ton argumentation sur le nom notamment, je n’y avais jamais pensé !
Je souris en pensant à certains, chantres de la protection, proférant des anathèmes qui, le soir venu, par lassitude ou hypocrisie, se faisait prendre sans. Faites ce que je dis…
Les temps étaient bien sûr extrêmement compliqués. To say the least.
Un blanc bourgeois typique, qui est écrivain par ses connections sociales. Un talent littéraire minimal, aucune originalité dans la forme. Il a su livrer le bon personnage pour faire parler de lui.
Cette littérature de puissants qui se vantent de leur vie sexuelle m’écoeure. Que cette vie sexuelle soit ou non morale, mais évidemment, elle ne l’est jamais.
Il y a tout de même une certaine originalité dans la forme.