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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

La falaise des lendemains (Tornaod an antronoz)

Moi qui suis plutôt un habitué des opéras « bel canto » du 19ème , j’aime bien goûter les productions actuelles et voir la manière dont elles peuvent s’emparer de ce genre sans le trahir, mais en le renouvelant bien sûr. Et j’ai souvent été déçu avec des trucs un peu trop comédie musicale (que j’aime aussi), ou carrément abscons ou trop abstraits à mon goût, allant trop loin dans la déstructuration de la narration, ou encore rendu ridicule par l’emphase que l’opéra apporte naturellement et qu’il faut savoir savamment doser.

Eh bien là, je n’ai pas été déçu, tout au contraire. Même si ce n’est pas le spectacle de l’année, ce « Jazz Diskan Opéra », tel qu’il est sous-titré sur les affiches et programmes, est une réussite à bien des égards. Non seulement on a une vraie histoire d’opéra, une dimension théâtrale à la hauteur de son sujet, mais aussi une composante musicale et vocale à la fois intéressante, cohérente et innovante. Les trois mots sont singuliers ainsi rapprochés car l’opéra rencontre bel et bien le jazz, ce qui en soit est inattendu, mais le « diskan » ajoute encore à ce trio en oxymore. On peut mieux comprendre ce dernier mot breton signifiant « contre-chant » en lisant la page du Kan ha diskan. Et bien sûr le titre même de l’opéra étant bilingue français et breton, on est dans une œuvre manifestement syncrétique ! Elle est même d’ailleurs, et très naturellement de par sa narration, présentée avec trois langues : breton, français et anglais (donc surtitrage obligatoire pour suivre !).

La composition et orchestration de Jean-Marie Machado, avec une direction musicale de Jean-Charles Richard, est vraiment très chouette, avec une tonalité jazz très efficace et envoutante, et des accents bretonnants qui ne dissonent étonnamment pas. On a aussi très concrètement une grande porosité entre l’action, le chant et la musique, puisque les musiciens sont littéralement sur la scène, comme on peut le voir ci-dessous.

Les décors ne changeront donc pas, à part quelques accessoires qui sont déplacés pour situer certaines scènes. On est à Roscoff avant la première guerre mondiale (1914), puis pendant, et enfin après. Quelques filets de pêche marquent le territoire, et un bastingage surélevé en demi-cercle représentera les quais du port, où l’action se déroule en majorité, avec en haut à gauche sur des échafaudages en hauteur la fameuse « falaise des lendemains ».

Nous sommes à Roscoff donc, et un (jeune et beau) marionnettiste de Guernesey présente un spectacle au port. Une (jeune et belle) infirmière, Lisbeth (Yete Quieroz), qui échappe aux griffes du mafieux et maquereau local, Dragon (Florian graou Bisbrouck), qui est amouraché d’elle. Lisbeth va en revanche immédiatement succomber, et réciproquement, aux charmes du marionnettiste anglais. Ils décident de se donner rendez-vous plus tard, la nuit, en haut de la falaise. Mais cela vient aux oreilles de Dragon qui s’y rend en avance. Il défigure, brise les mains, et laisse pour mort le pauvre marionnettiste qui attend sa belle. Ensuite, il attend Lisbeth et tente de la violer, avant de la pousser dans le vide.

Yeaaaah !! Ça c’est de l’opéra bébé !!! Et attendez ce n’est pas tout. Le marionnettiste est ramené à Guernesey où il est inconscient puis amnésique, en plus d’une véritable « gueule cassée », on lui raconte alors qu’il a été écrasé par un cheval fou. Lisbeth survit miraculeusement, mais est paraplégique. Survient la guerre et ses difficultés supplémentaires, après la guerre Lisbeth, en fauteuil roulant, s’occupe des gueules cassées. Bien sûr les amoureux se retrouveront à Roscoff, et évidemment le marionnettiste mourra dans ses bras. Bon ça se finira mal aussi pour le nazillon local.

Avouez que c’est du bon drama d’opéra ça, j’étais absolument ravi et comblé. Un truc bien pompier à la fois dans l’infatuation immédiate des personnages, mais aussi dans les conclusions un brin surréalistes et allégoriques. Mais c’est vraiment ce que j’attends, donc j’étais hyper content de cette histoire, et qui sincèrement est très bien narrée. En plus, les deux interprètes Yete Quieroz et Florian Bisbrouck sont très talentueux et déploient un joli charisme dans ce drame breton absolu.

Les langues donc arrivent assez naturellement avec un mélange breton et français pour les gens de Roscoff (les expressions idiomatiques bretonnes, et le tout venant en français donc assez naturel) et l’anglais avec le marionnettiste ou sur Guernesey. Et vraiment cette musique met bien en valeur le livret, même si je dois avouer que ça manque de lyrisme pour moi, surtout avec une histoire pareille. Donc ces opéras modernes ne retrouvent pas cette vibration que j’aime tant avec le bel canto d’un Verdi. Mais il faut comparer ce qui est comparable, et en tant que tel c’était déjà un très beau spectacle.

J’ai regretté que certains éléments majestueux et tape à l’œil de la scénographie n’aient pas été plus mis en valeur. Comme cette marionnette géante (en photo de tête de l’article), ou les spectacles de marionnettes qui sont cachés du public alors que c’était une super opportunité de mise en scène selon moi.

Mais globalement c’est super digeste (1h45 de spectacle), très original et avec une forme à la fois belle et efficace. On peut vraiment appeler cela un opéra et s’enorgueillir d’une telle inventivité avec cette touche bretonne qui ravira plus d’un chapeau rond.

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