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Pectus est quod disertos facit. ∼ Pédéblogueur depuis 2003 (178 av LLM).

Collaboration au Théâtre des Variétés

Collaboration au Théâtre des Variétés

Deux comédiens extraordinaires pour incarner deux personnages qui ont marqué leur temps : Didier Sandre est Stefan Zweig et Michel Aumont est Richard Strauss. Je connais très bien l’écrivain autrichien dont j’ai lu presque tous les écrits, je connais beaucoup plus vaguement Richard Strauss pour le Chevalier à la Rose (et Ainsi parlait Zarathoustra qui a été largement galvaudé). Autant la vie de Zweig m’est familière, autant celle du compositeur allemand pas du tout, et j’ignorais complètement qu’il avait été tellement copain comme cochon avec les nazis. Enfin c’est un peu plus nuancé que cela, et c’est justement le sujet de la pièce.

J’ai aussi appris que les deux hommes avaient véritablement été amis en plus que d’avoir été des relations professionnelles. Et la pièce a pour sujet central cette amitié du début des années 30 à la fin de la guerre. On découvre donc par séquences (plutôt courtes et digestes) quelques épisodes où les deux artistes ont travaillé ensemble. C’est une rencontre qui prend la forme d’un coup de foudre artistique alors que Strauss n’a plus trop d’inspiration et que Zweig, grand écrivain germanophone de l’époque, lui propose un livret qui l’enchante. Mais rapidement les évènements politiques en Allemagne viennent semer le trouble, et la judéité de Zweig est un frein à leur « collaboration ». On se retrouve avec un écrivain torturé psychologiquement par cette situation (il ira jusqu’à se suicider de désespoir en 1942 avec son épouse au Brésil), et un Richard Strauss intransigeant et inconscient. Ce dernier se moque des gouvernements et des gouvernants, il veut faire de la musique et tout le reste l’indiffère. Mais il ira tout de même jusque devenir un notable du Reich sous Hitler… La pièce présente le personnage avec beaucoup de nuances, et on ne pardonne pas pour autant son inconscience et sa compromission, on comprend en revanche bien ses actes et motivations. Il protégeait aussi son fils qui était marié avec une femme juive, et dont les propres enfants étaient aussi menacés.

Chaque incursion et rencontre entre les deux hommes est l’occasion de joutes verbales où l’amitié et la considération priment, mais où l’incompréhension règne en maître. Richard Strauss ne comprend vraiment pas pourquoi Stefan Zweig se prend la tête alors qu’il n’est censé vivre que pour son Art. Et l’écrivain est tellement pris par cette Allemagne en déclin qu’il ne peut trouver la force de continuer à écrire. Les années passent, elles sont modélisées simplement par des fondus au noir et des projections avec les dates, et peu à peu les deux hommes sont forcés à la séparation. Zweig s’exile pour sauver sa vie, Strauss est privé d’opéra pour avoir fait remettre le nom de l’écrivain juif sur les affiches de la première.

Quelques comédiens gravitent aussi autour de ces deux monstres, et notamment l’épouse de Strauss qui est une ancienne soprano haute en couleur et à la forte présence (souvent cocasse). Mais c’est surtout Michel Aumont et Didier Sandre (immortel Louis XIV de l’Allée du Roi pour moi) qui sont brillants, et qui endossent à la perfection les deux artistes. Vraiment je n’ai rien à leur reprocher, et ils bénéficient d’un texte très efficace, à la narration enlevée en même temps qu’un propos intelligent et nuancé.

J’ai toujours été très touché par le suicide de Zweig, et là j’ai trouvé que c’était d’autant plus bouleversant d’y « assister » ainsi, après toutes les étapes qui petit à petit lui ont fait perdre tout espoir en l’humanité. Richard Strauss même en vieux con après la guerre est égal à lui-même, on se demande si c’est bien légitime qu’il ait échappé à une condamnation lors de la dénazification. La pièce réussit à être intéressante pour bien des facettes, entre ses brillants comédiens, son fond historique réel et son utile témoignage, mais aussi pour la qualité globale du divertissement, plutôt populaire, qu’elle propose.

Collaboration au Théâtre des Variétés

  • Critique très attirante, d’autant que les deux comédiens sont habituellement remarquables.
    La deuxième guerre mondiale n’est pas vraiment la période que je choisirais pour un voyage dans le temps, surtout en Allemagne. J’y ai connu un ancien Jeunesse Hitlérienne nostalgique, que je n’ai pas pu m’empêcher d’aimer. Rien n’est simple et les hommes admirables dans ces époques le sont d’autant plus.

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